(Ottawa) L’économie canadienne souffre d’un déficit de concurrence qui freine notre productivité et rogne notre niveau de vie. Le gouvernement fédéral a fait un premier pas en septembre en déposant un projet de loi modifiant la Loi sur la concurrence. La réflexion sur la marche à suivre s’est poursuivie jeudi avec la tenue d’un sommet sur la concurrence.

Ce qu’il faut savoir

• L’inflation, notamment dans le prix des aliments, force le gouvernement canadien à agir.

• La faiblesse de la concurrence facilite la hausse des prix par les entreprises.

• Ottawa a réagi en convoquant les épiciers. Il en a découlé le projet de loi C-56 qui modifie la Loi sur la concurrence. Un sommet sur la concurrence s’est tenu à Ottawa jeudi.

• D’autres mesures vont suivre, a assuré le ministre François-Philippe Champagne dans son allocution qui ouvrait le sommet.

L’initiative de tenir un tel sommet organisé par le Bureau de la concurrence a été applaudie par les conférenciers qui ont pris la parole. « Il commence à y avoir une préoccupation sérieuse par rapport à la concurrence, s’est réjoui le professeur de HEC Montréal Robert Gagné qui a fait le point sur la compétitivité du Canada à l’international (le pays fait mauvaise figure).

Les idées n’ont pas manqué tout au long de la journée.

« Si on veut être sérieux sur la concurrence, il faudrait se débarrasser de la gestion de l’offre [dans les produits laitiers notamment], a lancé d’entrée de jeu Melanie Aitken, directrice générale et cochef des dossiers concurrence, antitrust et investissements à l’étranger chez Bennett Jones aux États-Unis. Elle a été commissaire de la concurrence au Canada, de 2009 à 2012.

« C’est surprenant comment à peu près personne ne rend responsable la gestion de l’offre pour l’inflation alimentaire, a-t-elle poursuivi. Il faudrait aussi lever les restrictions sur la propriété étrangère dans les domaines des télécoms, des banques et des compagnies aériennes. »

« Une des solutions pour stimuler la concurrence à l’intérieur de nos frontières à l’interne, ce serait que les autorités réglementaires provinciales mettent en pratique le principe de la reconnaissance mutuelle, a avancé pour sa part Ryan Manucha, spécialiste de l’Accord de libre-échange canadien qui favorise le commerce interprovincial. Il a donné l’exemple d’une voiture achetée dans une province par un consommateur qui en habite une autre. Au Québec, il faut faire une vérification économique en bonne et due forme pour pouvoir l’immatriculer si c’est un véhicule usagé.

Pour Edward Kholodenko, PDG et fondateur de Questrade, faire sa marque dans le domaine financier qui est dominé par les six grandes banques a relevé du parcours du combattant. Parti de rien il y a 20 ans, il a bâti une institution financière virtuelle comptant 2800 employés et ayant un actif sous gestion de 45 milliards en se frottant aux grandes banques canadiennes. « Je dois traiter avec 20 organismes de réglementation différents », s’est-il plaint.

La population est désabusée

Le pouls de la population canadienne sur la concurrence ou plutôt sur l’absence de concurrence a été livré par Arshy Mann, animateur d’une émission balado traitant de sujets sociopolitiques nommée Canadaland.

« On fait des balados sur une pléthore de sujets, mais quand on a abordé le thème de la concurrence et des monopoles, la réponse qu’on a reçue de notre auditoire a été incroyable », a raconté M. Mann.

Selon Arshy Mann, la population souhaite un engagement politique pour s’attaquer aux comportements abusifs des oligopoles.

« Ma théorie est que si les Canadiens pouvaient être convaincus qu’un parti politique allait réellement réduire leur facture de sans-fil de 25 $ par mois, ce parti se ferait élire parce que les consommateurs sont tellement frustrés de leur facture de sans-fil. Mais le croiraient-ils, ce parti ? La population est à ce point désabusée. Après tout, pourquoi un parti ferait ça ? Les Canadiens ont l’impression que ce sont les Bell, Rogers et Air Canada qui sont aux commandes du pays. » Pour rétablir la confiance des Canadiens, soutient Arshy Mann, le Commissaire de la concurrence devrait en faire beaucoup plus.

« Je retiens des propos d’Arshy Mann que le commissaire doit être plus agressif », a repris le commissaire Matthew Boswell dans ses remarques de fin de journée. « Je ne crois pas que nous aurions pu tenir ce sommet il y a trois ans quand le Bureau était pas mal tout seul dans son coin à réclamer plus de concurrence », a-t-il enchaîné sur une note plus sérieuse. Il faut que la conversation se poursuive pour qu’on en arrive à une approche pangouvernementale sur la concurrence et que des résultats se matérialisent, d’après lui.

Son organisme publiera sous peu un rapport mesurant la décroissance de l’intensité de la concurrence au Canada depuis 20 ans.

En mode rattrapage

En début de journée, le ministre fédéral de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne a promis du changement. « On cherche un juste équilibre pour arriver à se donner un cadre moderne », a-t-il dit dans son allocution qui a lancé la journée.

À ce chapitre, les Canadiens sont en mode rattrapage.

« Les efforts pour endiguer les comportements anticoncurrentiels aux États-Unis auxquels nous assistons aujourd’hui sont le fruit de 10 ans de prise de conscience, a dit Timothy Wu, professeur à l’Université de Columbia et ancien assistant spécial du président des États-Unis pour la politique de la concurrence. Et nous en avons pour 10 ans avant d’en voir les conséquences pour les consommateurs et les entreprises », a-t-il mentionné aux participants au sommet.

Que propose le projet de loi C-56 ?

– des études de marché par le Bureau ;

– des ordonnances rendues par le Tribunal de la concurrence à l’endroit de parties liées par une entente même si celles-ci ne sont pas concurrentes

– l’exclusion des gains en efficience de l’analyse des fusions