(Montréal) Les épiciers n’auraient pas profité du contexte inflationniste pour augmenter davantage leurs marges bénéficiaires sur le dos de leurs clients, selon des travaux de recherche effectués par la Banque du Canada.

C’est la conclusion qu’a partagée Nicolas Vincent, sous-gouverneur non dirigeant externe de la Banque du Canada, lors d’une présentation, mardi, devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. L’économiste a prononcé son premier discours public sur la détermination des prix par les entreprises, un domaine qu’il a étudié en tant que chercheur.

Graphique à l’appui, M. Vincent a montré que l’augmentation des prix en épicerie avait suivi l’augmentation du prix des intrants payés par celles-ci. « Les prix ont augmenté à peu près au même rythme que les coûts ces dernières années, y compris quand l’inflation était élevée. Sur la base de cette analyse, les augmentations de coûts étaient donc entièrement transmises aux prix. »

M. Vincent a présenté cette conclusion alors que le gouvernement Trudeau a récemment lancé un ultimatum aux épiciers afin de trouver des manières de stabiliser les prix. Ottawa a donné jusqu’à l’Action de grâce pour que les cinq grands épiciers lui présentent un plan à cet égard.

Si le fédéral juge la feuille de route fournie par chaque grand détaillant insuffisante, il menace d’intervenir, notamment à l’aide de mesures fiscales.

L’inflation alimentaire est demeurée persistante, malgré l’accalmie dans les autres catégories. En août, le prix des aliments a augmenté de 6,9 %, sur une base annuelle, par rapport à un rythme de 8,5 % en juillet, selon les données de Statistique Canada.

Si la conclusion peut varier d’un secteur à l’autre, la Banque du Canada estime que les entreprises canadiennes n’ont pas profité de l’inflation pour gonfler leur marge de profit, mais qu’elles ont refilé l’augmentation des coûts de leurs intrants aux consommateurs.

« Les hausses de prix ont suivi de près les hausses de coûts. Cela dit, même si les marges bénéficiaires n’ont pas augmenté, ce sont les consommateurs qui récoltent la facture au bout du compte », a reconnu M. Vincent.

Multiplication des hausses de prix

La multiplication des hausses de prix adoptées par les entreprises a pris de cours la Banque du Canada tandis que leur fréquence élevée ne correspondait pas à ses modèles économiques traditionnels.

« Les prix ont une certaine “rigidité », explique l’économiste. C’est-à-dire que la plupart des entreprises ne les ajustent pas chaque fois qu’il y a un changement dans leurs coûts, leur demande ou leur concurrence. »

Or, cette rigidité s’est assouplie dans un contexte volatil tandis que les entreprises ont augmenté leur prix de manière plus substantielle et fréquente. « Les principaux modèles utilisés par les banques centrales ne sont pas conçus pour prendre en compte des changements dans les pratiques des entreprises. »

La tendance s’améliore, mais M. Vincent reconnaît que les « progrès demeurent limités ». « Quand même, les entreprises nous parlent moins de surchauffe de la demande et semblent recommencer à prêter une attention particulière aux prix de la concurrence. »

La cible de 2 %

Questionné par le président et chef de la direction de la Chambre, Michel Leblanc, sur la pertinence d’assouplir la politique monétaire pour éviter une récession, M. Vincent a défendu la cible de la Banque du Canada, qui est de ramener l’inflation à 2 %. La cible a « très bien servi la population » et la banque centrale « est déterminée » à la ramener à 2 %, selon lui.

« Maintenant, on a une fourchette de 1 % à 3 %, alors pourquoi ne pas s’arrêter à 3 %, au fond ? Parce que si on s’arrête à 3 %, le prochain choc inflationniste, ça nous amène à 4 %, ça nous amène à 5 %. Après ça, on pourrait se demander : “est-ce qu’on arrête à 4 % ?”, et après, ça on monte à 5 % et à 6 %. »

La Banque du Canada fera sa prochaine annonce sur le taux directeur le 25 octobre. M. Vincent juge que le recul de l’inflation démontre que la politique monétaire « fonctionne », mais il a dit qu’il était « encore trop tôt pour crier victoire ». « La persistance de l’inflation fondamentale reste préoccupante, parce qu’elle pourrait compliquer le retour à la stabilité des prix. »

La Banque du Canada n’a pas voulu rendre M. Vincent disponible pour une entrevue.