Si l’inflation baisse moins vite que prévu, c’est que les entreprises ont profité du contexte pandémique pour augmenter leurs prix plus souvent et plus substantiellement qu’elles pouvaient le faire auparavant, selon le sous-gouverneur de la Banque du Canada, Nicolas Vincent.

Cette réaction des entreprises, ici et à l’étranger, est intimement liée à la forte inflation et pourrait contribuer à maintenir les prix élevés plus longtemps, a expliqué mardi le sous-gouverneur à un auditoire bien choisi pour passer ce genre de message, celui de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

En temps normal, les entreprises ne changent pas leurs prix souvent « parce que c’est un processus long et coûteux », a-t-il expliqué. Il leur faut évaluer les coûts, mais aussi la demande pour leur produit et les prix de la concurrence, avant de décider d’un nouveau prix et de le communiquer. « Tout ça coûte bien plus cher en ressources que le simple fait de changer le prix affiché », a-t-il précisé. « Et souvent, le jeu n’en vaut pas la chandelle. »

Les choses ont changé. Les sondages menés par la Banque du Canada démontrent que lors de la reprise qui a suivi la pandémie, les entreprises ont constaté que leurs coûts augmentaient, mais que la demande pour leurs produits restait élevée. Comme l’offre était restreinte, elles ont aussi indiqué que leurs clients étaient moins réticents que d’habitude à payer plus cher.

« Face à cette nouvelle réalité, les entreprises ont réagi par des augmentations plus fortes et plus fréquentes que d’habitude », résume Nicolas Vincent. Depuis le début de l’année, les pratiques des entreprises en matière de prix semblent revenir à la normale, mais « il faut avouer que les progrès demeurent limités », ce qui pourrait expliquer en partie la résistance de l’inflation, selon lui.

La Banque du Canada estime que les marges bénéficiaires des entreprises sont « assez stables » depuis le début de l’année, ce qui indique que les hausses de prix ont suivi de près les hausses de coûts, mais aussi que les entreprises n’ont pas souffert de l’inflation. « Ce sont les consommateurs qui récoltent la facture », a résumé le sous-gouverneur.

« Il reste maintenant à voir si les baisses récentes des coûts de certains intrants vont être répercutées sur les prix aussi rapidement et pleinement que les hausses des deux dernières années », a-t-il dit.

La Banque du Canada estime qu’il y a un risque que les entreprises continuent d’ajuster leurs prix plus fréquemment et plus substantiellement, notamment dans le secteur de l’alimentation où la technologie réduit le coût des changements de prix. « Les étiquettes électroniques que vous voyez à l’épicerie permettent de changer plus souvent les prix à moindre coût », a illustré le sous-gouverneur.

La diminution de la concurrence, notamment dans l’alimentation, est un autre sujet d’inquiétude pour la Banque du Canada. « La consolidation de certains secteurs pourrait réduire les pressions concurrentielles qui limitent les hausses de prix », a réitéré Nicolas Vincent.

Une cible à 2 %, pas 3 %

Le premier sous-gouverneur non dirigeant nommé par la Banque du Canada pour apporter un regard neuf sur la politique monétaire estime que les banques centrales doivent faire preuve d’humilité.

« Nos modèles ont des limites et on doit faire des choix », a-t-il dit pour expliquer que l’inflation n’a pas été temporaire comme on l’avait cru et qu’elle baisse moins vite que prévu, malgré les hausses à répétition du taux directeur.

La Banque du Canada tire des leçons des derniers mois, qui la forcent à revoir ses modèles, selon lui.

Mais il n’est pas question de rehausser la cible d’inflation de 2 % à 3 % parce que l’atteinte de l’objectif s’avère ardue, a affirmé Nicolas Vincent en réponse aux questions du président de la Chambre, Michel Leblanc.

« La cible de 2 % a très bien servi la population depuis des décennies. Si on s’arrête à 3 %, le prochain choc inflationniste, ça nous amène à 4 %, puis à 5 %, a-t-il illustré. Après, on peut se demander est-ce qu’on arrête à 4 % ? »

Les hausses répétées des taux d’intérêt contribuent à alimenter l’inflation en augmentant les coûts des hypothèques, a-t-il convenu, mais le taux d’inflation a quand même baissé de 8 % à 4 %. « Ce qu’il faut se demander, c’est quelle serait l’inflation si on n’avait pas augmenté les taux », a-t-il justifié.