L’appétit croissant pour l’électricité renouvelable pourrait redonner vie à une vieille technologie tombée dans l’oubli : les centrales hydrauliques à réserve pompée, qui intéressent même Hydro-Québec.

« Ça fait partie de l’éventail des solutions possibles que nous examinons pour augmenter la production de nos centrales », indique le porte-parole de la société d’État, Maxence Huard-Lefebvre.

Deux réservoirs d’eau situés à des dénivelés différents et une turbine entre les deux, c’est tout ce qu’il faut à une centrale à réserve pompée pour produire de l’électricité.

Les centrales à réserve pompée produisent de l’électricité comme les autres centrales hydrauliques, mais leur fonctionnement est limité à quelques heures à la fois : quand le bassin le plus élevé s’est vidé de son eau, il faut remonter cette eau en la pompant du bassin inférieur vers le haut.

Hydro-Québec n’a pas de projet en cours, mais la société d’État fait spécifiquement mention des centrales à réserve pompée dans son plan stratégique 2022-2026 dans les options possibles pour augmenter la production d’électricité.

Nous étudierons toutes les options possibles, y compris le rehaussement de barrages existants, l’aménagement de nouveaux ouvrages ou la construction de centrales de pompage.

Extrait du plan stratégique 2022-2026 d’Hydro-Québec

Ces centrales sont utiles au cours des périodes de forte demande. La turbine fonctionne pendant les heures de pointe et l’eau du bassin inférieur peut être pompée vers le bassin supérieur par la turbine qui fonctionne en sens inverse la nuit quand la demande d’électricité est réduite.

  • La centrale hydroélectrique Kruonis, en Lituanie

    PHOTO TIRÉE DE WIKIPEDIA

    La centrale hydroélectrique Kruonis, en Lituanie

  • La centrale hydroélectrique Kruonis, en Lituanie

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    La centrale hydroélectrique Kruonis, en Lituanie

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L’eau contenue dans le bassin supérieur agit comme une batterie disponible au besoin et rechargeable en dehors des périodes de pointe. Ces centrales peuvent aussi servir à équilibrer d’autres sources d’énergie intermittentes, comme l’éolien.

Une solution pour le Québec ?

Le Québec n’a pas de centrale à réserve pompée, mais il a bien failli en avoir une. Au début des années 1970, Hydro-Québec cherchait à augmenter sa production d’énergie en période de pointe, comme elle le fait actuellement. L’entreprise envisageait sérieusement d’aménager une centrale de ce type à l’étang Fullerton, près de Mansonville.

Ce plan d’eau aurait servi de bassin supérieur et un bassin inférieur aurait été créé, en inondant une partie du territoire en aval estimée à 1,3 kilomètre carré, selon une recherche réalisée pour l’Association du patrimoine de Potton. Les deux bassins auraient été réunis par des conduites souterraines.

Le projet a été abandonné en 1980, notamment en raison de l’opposition de la population locale.

L’intérêt nouveau pour les centrales à réserve pompée s’explique par la hausse du coût de l’énergie et par l’augmentation des besoins d’énergie renouvelable pour la décarbonation, explique Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Source : Schéma du fonctionnement d’une centrale à réserve pompée – Hydro-Québec

Une centrale à réserve pompée n’est pas la façon la moins coûteuse de produire de l’électricité, dit-il. Ce n’est pas non plus une installation qui peut servir uniquement à satisfaire la pointe hivernale. « Si ça fonctionne seulement quelques heures par année, ça revient trop cher. Il faut que ça fonctionne tous les jours. »

Il faut de l’énergie pour pomper l’eau et la remonter vers le bassin supérieur. L’idée est de pomper l’eau quand la demande d’énergie est au plus bas et de la turbiner pour produire de l’électricité quand on en a besoin.

Avec la migration d’un nombre croissant d’activités des énergies fossiles vers l’électricité, Hydro-Québec prévoit une augmentation considérable des besoins en puissance pendant toute l’année et encore davantage au cours de la pointe hivernale induite par le chauffage.

Il faudra plus de puissance pour appuyer les éoliennes, qui fourniront à court terme l’électricité additionnelle dont le Québec a besoin.

Les centrales à réserve pompée font certainement partie des options qui doivent être envisagées par Hydro-Québec, selon Normand Mousseau, d’autant que ses réservoirs existants pourraient être utilisés. En construisant un réservoir en amont ou en aval des réservoirs existants, l’eau peut être pompée et turbinée une deuxième fois par la même centrale.

Ça exige des investissements, mais pas considérables. Ce serait certainement moins coûteux que de construire de nouvelles installations.

Normand Mousseau, directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal

La société d’État a déjà annoncé son intention d’augmenter la production de ses centrales existantes en les équipant de groupes turbine-alternateur plus performants.

Le pompage de l’eau déjà passée dans les turbines pour qu’elle soit turbinée une deuxième fois « est un outil qui peut avoir du sens dans un portefeuille énergétique », selon Maxence Huard-Lefebvre.

PHOTO TIRÉE DE WIKIPEDIA

La station hydroélectrique Sir Adam Beck à Niagara Falls, en Ontario

Une renaissance

Les centrales à réserve pompée existent depuis plus d’un siècle et plusieurs installations de ce type sont en fonction partout dans le monde, là où la géographie s’y prête. Le Canada en compte plusieurs, dont une sur la rivière Niagara en Ontario qui est gérée par Ontario Power Generation.

Le monde énergivore d’aujourd’hui semble avoir redécouvert cette ancienne façon de produire de l’électricité renouvelable, selon le Global Energy Monitor, une ONG établie à San Francisco qui s’intéresse aux projets de production d’énergie.

La capacité de production totale des centrales à réserve pompée existantes est de 170 000 mégawatts et les projets connus pourraient la porter à près de 500 000 mégawatts, selon ces spécialistes.

C’est la Chine qui mène le bal, avec 80 % de tous les projets de centrales à réserve pompée répertoriés dans le monde.

Les centrales à réserve pompée ont une moins grande empreinte sur le paysage que les grands barrages qui nécessitent d’inonder de grandes surfaces, mais elles ne sont généralement pas bienvenues à proximité des milieux habités.

C’est la raison pour laquelle, par exemple, la Californie a creusé des réservoirs d’eau souterrains, illustre Normand Mousseau.

Des cavernes existantes ou d’anciennes mines peuvent aussi être utilisées pour aménager des réservoirs et des centrales à réserve pompée.