Pendant que les yeux sont rivés sur la grève qui paralyse le port de Vancouver, le compte à rebours pourrait être commencé à Montréal. La convention collective des débardeurs vient à échéance à la fin de l’année et les points litigieux au cœur du dernier conflit de travail – qui s’est terminé avec une loi spéciale – demeurent en suspens.

« Je suis très préoccupé par la situation dans la métropole, concède Brian Slack, professeur émérite à l’Université Concordia et spécialiste du transport maritime. La situation sur la côte Ouest est distincte, mais les débardeurs se battent pour des éléments similaires à ici : la sécurité d’emploi, les horaires de travail et, bien sûr, l’argent. »

À Montréal, où l’on manutentionne annuellement 40 millions de tonnes de marchandises, les modalités du contrat de travail des 1100 salariés qui chargent et déchargent la marchandise dans les terminaux avaient été déterminées par l’arbitre André G. Lavoie. Nommé en mai 2021 après l’adoption d’une loi spéciale par le gouvernement Trudeau pour mettre fin au débrayage, il avait tranché sur des éléments comme les augmentations de salaire (18 % et rétroactives au 1er janvier 2019) et la durée de l’entente (cinq ans).

Il avait cependant opté pour le statu quo en ce qui a trait à des éléments plus sensibles en envoyant un message au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), affilié à la FTQ, et à l’Association des employeurs maritime (AEM). Les points en litige comme les horaires et la sécurité d’emploi – au cœur de l’impasse – devaient être réglés de manière négociée, écrivait M. Lavoie.

« Mon rôle n’est pas de réécrire la convention collective », prévenait l’arbitre.

Délicat

C’est donc dans ce contexte que le SCFP et l’AEM devront tenter de trouver un terrain d’entente et ainsi éviter un nouveau conflit de travail – qui serait le troisième à survenir depuis l’été 2020. De part et d’autre, mardi, on a préféré jouer de prudence en déclinant les demandes d’entrevue à ce sujet.

Il faudra attendre l’automne pour que les négociations se mettent en branle, sur fond de ralentissement économique, qui fait fléchir le tonnage.

« Conformément aux dispositions prévues dans le Code canadien du travail, nous pourrions recevoir un avis de négociation à partir du 1er septembre afin de débuter officiellement le processus », souligne Isabelle Pelletier, vice-présidente, communication et affaires publiques, de l’AEM.

L’Association des employeurs maritimes, c’est quoi ?

C’est l’employeur des débardeurs, qui chargent et déchargent les navires. L’Association négocie et administre les contrats de travail de ses membres à Montréal, Contrecœur, Trois-Rivières, Bécancour, Hamilton et Toronto.

Toutefois, selon les informations colligées par La Presse auprès de différentes sources impliquées dans le dossier qui ont demandé à ne pas être identifiées, le niveau d’optimisme n’est pas très élevé. Visiblement, la loi spéciale d’Ottawa a laissé des traces sur l’état des relations entre les représentants des débardeurs et l’AEM.

À l’heure actuelle, en cas de débrayage, les activités des débardeurs ne sont pas considérées comme des services essentiels. Le Conseil canadien des relations industrielles, tribunal quasi judiciaire spécialisé en relations de travail au fédéral, avait tranché en ce sens en juin 2020 à la suite d’une demande de l’AEM. Ottawa n’a donné aucune indication que cela pourrait changer.

Pour Jean-Paul Rodrigue, expert en transport et professeur à l’Université Hofstra, à New York, ce qui se passera en Colombie-Britannique, où 7400 débardeurs débrayent dans une trentaine de ports, pourrait bien donner un aperçu de ce qui attend le port de Montréal.

« Cela [le conflit de Vancouver] risque de fixer les enjeux ici, dit-il. C’est une grande question de savoir ce qui arrivera ici, mais ce qui se passe à l’autre bout du pays devrait donner le ton. »

Se préparer

Chez Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ), où les membres dépendent grandement des activités du port de Montréal, la présidente-directrice générale Véronique Proulx s’abstient de spéculer sur les négociations à venir.

Cependant, elle s’attend à ce que les entreprises se préparent à toutes les éventualités.

« Des leçons ont été apprises, dit Mme Proulx. Sachant qu’il y a eu deux grèves à Montréal, je pense que l’on peut s’attendre à voir les entreprises s’y prendre à l’avance. On pourrait par exemple trouver d’autres options aux itinéraires habituels. La dernière chose qu’elles veulent, c’est d’avoir un conteneur rempli de matériaux critiques qui est coincé. »

Pour sa part, l’Administration portuaire de Montréal (APM) doit se contenter d’un rôle de spectatrice. L’agence fédérale, qui entretient et loue les installations du port à des entreprises privées d’arrimage, ne dispose pas du pouvoir d’intervenir dans le dossier.

La loi spéciale du gouvernement Trudeau visant les débardeurs du port de Montréal fait toujours l’objet d’un litige devant les tribunaux. Le SCFP conteste sa validité devant la Cour supérieure du Québec. La décision se fait toujours attendre. Depuis 2015, le droit de grève bénéficie d’une protection constitutionnelle dans la foulée de l’arrêt Saskatchewan de la Cour suprême du Canada.

Résumé du conflit au port de Montréal 

31 décembre 2018 : le contrat de travail des débardeurs vient à échéance.

10 août 2020 : une grève générale illimitée est déclenchée.

21 août 2020 : une trêve de sept mois intervient entre travailleurs et employeur.

26 avril 2021 : nouvelle grève générale illimitée

30 avril 2021 : la loi spéciale qui force un retour au travail est sanctionnée par Ottawa.

9 décembre 2022 : un arbitre tranche sur une nouvelle convention collective.

En savoir plus
  • 150 000 $
    Salaire moyen d’un débardeur au port de Montréal en 2023
    source : association des employeurs maritimes
    4
    Nombre de journées qui se sont écoulées depuis le début de la grève au port de Vancouver.
    source : la presse