D’un point de vue économique, 2023 s’annonce comme la première année « normale » – sans confinement notamment – depuis 2019. Quatre ans plus tard, quelle est la nouvelle normale ? Nos journalistes se penchent sur cette question, sous différents angles. Cette semaine : les prix.

Les prix qui ont grimpé un peu partout depuis trois ans – et particulièrement aux rayons des marchés d’alimentation – ont provoqué des changements dans certaines de nos habitudes de vie.

« On vit une perte de repères. Le budget d’avant ne tient plus. Il faut revoir nos choses, parce que le compte de banque descend plus vite. Juste l’épicerie qui augmente, avec sept enfants, ça fait un trou dans le budget. »

Dominique Bernèche est à la tête des Belles combines. L’entreprise qui aide déjà les familles à mieux planifier leur quotidien s’apprête à lancer Octave, une application qui va nous rappeler (en plus !) qu’il est temps d’aller chez le dentiste, le coiffeur ou de sortir le compost. L’idée : simplifier notre vie compliquée, pressée par des stresseurs externes, dont le budget.

Dominique est aussi maman de sept enfants.

L’inflation a créé un climat très anxiogène, pour tous, dit-elle. « Une panique s’est emparée de nous. »

Cela a rendu la planification particulièrement hasardeuse. « Avant, tu faisais ton budget et tu savais à peu près quelle serait l’inflation normale », illustre Dominique Bernèche.

Près des trois quarts des consommateurs sont encore préoccupés par les coûts quotidiens, selon le dernier coup de sonde de Deloitte réalisé au mois d’avril 2023. C’est une légère amélioration – car ce souci accaparait 83 % des Canadiens en 2022, selon la même étude.

Depuis deux ans, le prix des aliments a augmenté de 18 % au Canada. Un rapport publié plus tôt ce mois-ci par la Banque Royale indiquait que, malgré une certaine stabilisation du prix du panier d’épicerie, il ne faut pas s’attendre à un retour à des références prépandémiques.

Pour une partie de la population, ç’a été l’occasion de reprendre en main ses finances. Et parfois sa vie.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Dominique Bernèche et deux de ses enfants, Renaud et Léo

C’est une question de choix. Chez nous, nous avons décidé de mettre la priorité sur la nourriture.

Dominique Bernèche, fondatrice des Belles combines

Alors comme il faut que le budget balance, chez Dominique, ce sont les véhicules qui sont passés au bas de la liste des priorités, pour le moment. La vie à la campagne permet aussi de faire des économies. La famille se fabrique des loisirs plutôt que de payer pour une panoplie de cours et de camps.

Réduire le gaspillage, à tout prix

L’application Too Good to Go a été lancée il y a sept ans, en France. Sept années, c’est peu dans la vie d’une entreprise, mais énorme si cela inclut trois années pandémiques, plus ou moins intenses. Surtout si son mandat est de lutter contre le gaspillage alimentaire.

Un sondage Léger mené l’année dernière concluait que 7 Québécois sur 10 (71 %) voulaient changer leurs habitudes alimentaires parce que le prix des aliments avait augmenté, rappelle Nicolas Dot, qui dirige la branche canadienne de Too Good to Go.

« L’inflation a été un catalyseur d’accélération dans les derniers mois, les dernières années », avoue Nicolas Dot.

Depuis 2021, le groupe français au nom anglais est présent au Canada. Au Québec, l’application se retrouve dans cinq marchés : Montréal, Québec, Gatineau, Sherbrooke et Trois-Rivières depuis le début du mois de juin.

Il y a plusieurs raisons pour sauver de la nourriture. L’application est née d’un constat environnemental, sur le fait que 40 % de la nourriture dans le monde est gaspillée aujourd’hui. Donc, on voulait trouver une solution complémentaire à toutes les solutions qu’on peut mettre en place au quotidien.

Nicolas Dot, directeur de la branche canadienne de Too Good to Go

Concrètement, cette application permet à l’utilisateur de récupérer des invendus d’un commerce alimentaire – fruiteries, boulangeries, restaurants, etc. –, mais c’est le marchand qui décide ce qu’il met dans le panier.

Si, au départ, la clientèle était essentiellement constituée de jeunes écocitoyens, avec les prix qui montaient à l’épicerie comme ailleurs, l’incitation économique a pris beaucoup de place, précise Nicolas Dot.

La clientèle s’est élargie. Les étudiants et les jeunes familles restent le noyau dur. Mais plus de retraités ont rejoint les rangs. Et monsieur et madame Tout-le-Monde pour qui l’attrait de l’économie a pesé lourd dans la balance. « On le voit, dit Nicolas Dot. Avant c’était plus niché, mais on sent que l’on passe sur un public de masse. »

Revoir sa vie

Malgré tous ces bouleversements dans nos habitudes de vie, la fondatrice des Belles combines doute que la prise de conscience soit généralisée.

« Je crois que c’est idéaliste de le croire », dit Dominique Bernèche, qui se sent parfois marginale dans ses choix de vie.

Je regarde les gens autour de moi et je ne peux pas dire que je vois des gens qui ont diminué leurs standards à cause de la pandémie.

Dominique Bernèche, fondatrice des Belles combines

Et c’est normal, dit-elle. Personne ne veut diminuer son rythme de vie. « On travaille fort pour augmenter notre qualité de vie, poursuit Dominique Bernèche. On s’attend chaque année à être capable de vivre un petit peu mieux. D’améliorer notre situation. »

Ce qui lui fait craindre que le taux d’endettement continue de monter.

Le dernier rapport d’Equifax le confirme, il est à la hausse : les dettes totales des consommateurs ont augmenté de 4,9 % en une année et au premier trimestre de 2023, les soldes de cartes de crédit ont continué d’augmenter.

En bref

55 %

C’est la proportion des gens qui croient que les prix vont augmenter durant la prochaine année et à peu près la même proportion s’attend à vivre une récession au Québec.

Source : Baromètre du Conseil québécois du commerce de détail

24,2 %

Le prix des aliments au Québec a augmenté du quart entre mai 2019 et mai 2023, selon Statistique Canada.

Source : Statistique Canada