(Lyon) « Osez la semaine de quatre jours ! », proclame non pas un salarié heureux mais un patron, Laurent de la Clergerie, chantre d’une nouvelle organisation du travail privilégiant « la qualité de vie ».

Inspiré par une expérience de Microsoft au Japon, le président fondateur du groupe de commerce numérique LDLC – un millier d’employés – a franchi le pas début 2021, en adoptant les 32 heures sur quatre jours, sans réduction de salaire.  

L’entrepreneur de 52 ans en détaille tous les bienfaits dans un récent livre Osez la semaine de quatre jours ! 

« Cette organisation du travail est l’avenir », assure-t-il dans un entretien avec l’AFP. « Quand je vois comment tout marche aujourd’hui dans la boîte, à quel point j’ai changé la vie des gens, qui travaillent plus efficacement tout en étant beaucoup moins stressés, et en ayant fait disparaître les notions de charge mentale, épuisement professionnel, etc., je me dis “si l’ambiance qu’il y a chez nous se multipliait dans plein de boîtes, au global, c’est la société avec un grand S qui changerait !” », s’enflamme-t-il.

Au départ, les actionnaires « n’ont pas aimé du tout ». Des investisseurs lui disent : « On ne te savait pas de gauche ! ». Maintenant, « ce n’est plus un sujet négatif », affirme-t-il.

Certains salariés sont aussi réticents : ils craignent des agendas impossibles, des objectifs inatteignables… D’autres lui assènent : « Pas pour moi Laurent, j’aime trop mon travail ».

Lui est décidé à embaucher pour compenser et le leur dit, « pour les rassurer ».

Éloge de la déconnexion

« Ce n’est qu’après que je me suis rendu compte que finalement on travaillait mieux, qu’il n’y avait en fait pas besoin de recruter. Parce qu’on change le mode de vie. Et que ça change tout ».

La transition est « sans accroc » et il voit vite « la magie opérer » avec des collaborateurs plus reposés, productifs, créatifs : alors même que le chiffre d’affaires bondit de 40 % dans l’année, le temps de travail baisse de 8,6 % et l’effectif augmente de moins de 4 %. Le taux d’absence passe de 6 % en 2019 à un peu plus de 5 % en 2021.

« Je n’ai eu que des bonnes surprises », confie-t-il. Sauf sur un point : « il n’y a plus du tout de roulement de personnel », ce qui entrave les perspectives de progression, créant « une frustration ».  

Les salariés « n’ont néanmoins pas envie de partir », conquis par le gain de temps de vie privée, doublé par des économies de transport ou de garde d’enfants.  

Autre bémol : LDLC a réduit de deux à un le nombre de jours de télétravail, pour garder lien social et cohésion.

« Cela a peut-être fait un peu grincer des dents mais les trois organisations syndicales ont signé », souligne le secrétaire du CSE Patrick Lusson.  

« Globalement, les salariés sont satisfaits des 32 heures sur 4 jours ; personne ne veut revenir en arrière, même si quelques jeunes qui arrivent sur le marché du travail aimeraient travailler plus pour gagner plus », ajoute l’élu CFDT.

La semaine de 4 jours, expérimentée dans une poignée d’entreprises à peine, fait rêver une majorité de Français : 9 actifs sur 10 seraient tentés de rejoindre une société proposant les 4 jours et 56 % des actifs la placent dans le top 3 des avantages dont ils souhaiteraient le plus bénéficier, selon un récent sondage Yougov sur un échantillon de 1010 actifs pour Talent.com.

La population aurait-elle perdu le sens de la « valeur travail » ?

« On confond valeur travail et capacité ! », rétorque Laurent de la Clergerie, qui pointe la densification du travail ces dernières décennies, souvent évoquée par des économistes et sociologues.

« Il y a un siècle, on menait un projet par an, quand aujourd’hui on en gère dix à la fois, en concurrence constante, un téléphone greffé au bras, des courriels toutes les trois secondes, 25 groupes Whatsapp et les réseaux sociaux. On n’est pas capable de maintenir l’efficacité face à cette quantité de données. Notre cerveau ne suit plus. Alors qu’avec un jour de repos supplémentaire, on travaille mieux ».

La clé, « c’est l’organisation du travail »

PHOTO MARK LENNIHAN, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

La semaine de quatre jours fonctionne s’il s’agit d’une réduction du temps de travail accompagnée d’un changement d’organisation pour augmenter la productivité, explique à l’AFP Pedro Gomes, professeur d’économie à Birkbeck (Université de Londres), auteur du livre Friday is the new Saturday et coordinateur d’un projet pilote au Portugal.

La semaine de quatre jours est expérimentée dans plusieurs pays. Quels retours en font les entreprises ?

Les travailleurs plus reposés travaillent mieux les autres jours, ils sont plus créatifs. Cela libère du temps pour l’innovation, on ne réfléchit pas qu’au travail.

Mais cela ne suffit pas pour rattraper la perte d’une journée. La semaine de quatre jours implique un changement dans l’organisation du travail pour être plus productif.

Il faut raccourcir la fréquence et la durée des réunions. Parfois il s’agit d’adopter des technologies. Une chaîne de restaurants à Madrid a mis en place la semaine de quatre jours sans embauche de personnel : les clients commandent par une application pour économiser du temps au serveur. Très populaire également, la création de blocs de temps pour séparer le travail d’équipe, le travail personnel, la vérification de courriels, les moments sociaux…

Ces changements sont plus faciles à réaliser à l’occasion d’un passage aux quatre jours car les salariés savent que le bénéfice sera aussi pour eux. Un chef d’entreprise m’a dit que le passage aux quatre jours avait été son meilleur exercice de cohésion.

La semaine de quatre jours réduit aussi les coûts : la facture énergétique si vous fermez le vendredi, le taux d’absentéisme car les travailleurs sont moins souvent malades. Dans tous les projets, le stress et l’épuisement ont diminué considérablement.

C’est une solution aux problèmes de recrutement. Dans une banque britannique, les candidatures ont augmenté de 500 %. C’est une alternative aux augmentations de salaire et un moyen pour les PME de concurrencer les grandes entreprises aux salaires plus élevés.

Quels sont les principes de votre projet pilote au Portugal ?

Cela concerne 39 entreprises volontaires du secteur privé, principalement des PME. Un projet de six mois, ça rassure, ça permet de partager les expériences…

On a défini trois principes clés. Premièrement, pas de réduction de salaire, ce n’est pas du temps partiel. Deuxièmement, une diminution de nombre d’heures travaillées, ce n’est pas une semaine de travail comprimée. Au Portugal, la semaine est de 40 heures, la réduction peut être à 32, 34 ou 36 heures. On laisse la décision à l’entreprise. Troisièmement, c’est volontaire et réversible. Ce n’est pas une loi ni un droit des travailleurs, c’est une pratique managériale, et si ça ne fonctionne pas, on revient en arrière.

Notre décision la plus importante a été de ne pas donner de subvention afin de faire une bonne évaluation. Si nous donnons de l’argent, même en cas de succès, un sceptique l’attribuera toujours à la subvention.

La semaine de quatre jours correspond-elle à une évolution économique ?

Aucune loi économique ne dit qu’on doit travailler six, cinq ou quatre jours, c’est un choix de société entre le temps de travail et le temps de loisirs.

Le mouvement de la semaine de cinq jours a pris de l’ampleur quand l’Américain Henry Ford l’a mis en place dans toutes ses usines en 1926. Il pensait que les ouvriers n’auraient pas besoin d’une voiture s’ils passaient six jours enfermés dans ses usines.

Les cinq jours ont correspondu à l’économie de consommation de masse du XXe siècle. Mais depuis 30 ans, tout a changé : la technologie, la vitesse de communication, la démographie, le travail des femmes… et on continue d’organiser le travail de la même manière. Il y a aussi un changement culturel de l’équilibre entre vie professionnelle et privée après la COVID-19, en particulier chez les jeunes.

Les critiques dans les années 1930 étaient les mêmes qu’aujourd’hui contre les quatre jours : c’est impraticable, les salaires vont baisser, tout le monde va devenir fainéant… Ce qui est intéressant, c’est que ces critiques ont vite disparu après la mise en œuvre des cinq jours.

Fabrice Randoux, Agence France-Presse