Bell Canada Entreprises (BCE) a dû verser plus de 230 millions en indemnités de départ lors de son premier trimestre de l’exercice  2024, soit plus que lors de tout son exercice 2023, dans la foulée de sa réduction d’effectifs annoncée au cours de l’hiver.

La plus grande entreprise canadienne de communications a indiqué jeudi que ses coûts liés aux indemnités de départ ont atteint 234 millions au premier trimestre. À titre comparatif, ces coûts avaient été de 29 millions pour la même période un an plus tôt, et de 134 millions pour l’ensemble de l’exercice 2023.

En février, BCE avait annoncé la suppression de 4800 emplois, soit 9 % de ses effectifs, y compris des journalistes et d’autres travailleurs de sa filiale Bell Média, dans le cadre de sa « plus grande initiative de restructuration de l’effectif en près de 30 ans ».

Une fois que cette restructuration sera achevée, BCE s’attend à ce que les réductions de personnel permettent des économies de 150 à 200 millions par année en 2024. À terme, les indemnités de départ liées à cette opération pourraient s’élever à environ 400 millions.

Pour justifier ces coupes au sein de sa main-d’œuvre, l’entreprise avait cité des politiques du gouvernement fédéral et des décisions réglementaires de plus en plus défavorables, une économie marquée par des taux d’intérêt élevés et une inflation persistante, ainsi que l’intensification de la concurrence.

Selon l’entreprise, la hausse des coûts liés aux indemnités de départ a d’ailleurs eu un impact sur ses profits au premier trimestre, qui ont chuté de 42 % d’une année à l’autre.

Les dirigeants talonnés en assemblée

Le mécontentement suscité par les suppressions d’emplois s’est déplacé jeudi lors de l’assemblée générale annuelle de l’entreprise. Des investisseurs et des employés ont interrogé les dirigeants sur leur rémunération en cette période de restrictions budgétaires pour le personnel.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le PDG de Bell, Mirko Bibic

Le président du conseil d’administration, Gordon Nixon, et le président et chef de la direction de Bell Canada, Mirko Bibic, ont défendu cette décision. Le premier a qualifié la dernière année de « difficile, mais aussi très transformationnelle » pour le géant montréalais des télécommunications et des médias.

Le jour même de l’annonce des licenciements, BCE a augmenté son dividende trimestriel de 3 cents par action ordinaire, pour le porter à 99,75 cents par action ordinaire.

Lors de la réunion de jeudi, il a été demandé aux dirigeants de l’entreprise d’expliquer cette décision dans « une période économique si difficile ». Il a été soulevé qu’il y a un décalage entre les milliers de suppressions d’emplois et le fait que BCE a déclaré plus de 2,3 milliards de bénéfice annuel pour 2023 et a augmenté son dividende.

M. Nixon a reconnu qu’il s’agissait d’une « question logique ».

Ces bénéfices sont importants, mais comme vous le savez, ils n’ont pas augmenté au rythme que nous souhaiterions en tant qu’entreprise pour que nos actions augmentent et que notre dividende augmente même à un rythme plus élevé.

Gordon Nixon, président du conseil d’administration de Bell

« Notre capacité, en tant que société publique, à croître, à investir, à attirer des capitaux, à réaliser des investissements en capital, dépend de notre capacité à accroître nos bénéfices, à accroître nos dividendes et à performer », a-t-il ajouté.

M. Bibic a soutenu que l’entreprise avait supprimé un certain nombre de postes vacants dans le cadre des réductions afin de minimiser l’impact sur le personnel actuel et avait également proposé aux employés syndiqués des départs volontaires.

Quant à savoir si les postes supprimés affectaient uniquement les niveaux inférieurs de la main-d’œuvre, M. Bibic a répondu qu’il y avait des changements « à tous les niveaux de l’entreprise ».

Le nombre de vice-présidents chez BCE a diminué de 20 % depuis 2020 et « nous réduisons également les postes de direction dans l’ensemble de l’entreprise », a-t-il indiqué.

Certains ont visé la rémunération de M. Bibic, demandant si BCE envisageait une réduction de son salaire alors que d’autres perdaient leur emploi. Aucun changement n’est prévu dans la rémunération cible de M. Bibic pour 2024, selon les documents.

M. Nixon a fait valoir que BCE est « bien en dessous » de ses concurrents en ce qui concerne la rémunération du PDG et la rémunération des dirigeants dans leur ensemble. Il a souligné que l’entreprise détermine les salaires grâce aux conseils d’un consultant engagé pour évaluer les performances et l’environnement concurrentiel.

« Nous pensons qu’en tant que conseil d’administration, nous avons fait un très bon travail au sein de notre comité de rémunération en reconnaissant à la fois les défis et le fait que nous voulons nous assurer de conserver les meilleurs talents, pas seulement au poste de PDG, mais aussi au niveau des cadres supérieurs dans l’ensemble du conseil d’administration », a-t-il soutenu.

Le syndicat Unifor, qui représente environ 19 000 travailleurs des télécommunications chez BCE et 2100 membres chez Bell Média, avait exhorté les actionnaires dans une lettre ouverte mercredi à faire pression sur l’entreprise pour obtenir des réponses.

Bénéfice net en baisse

Plus tôt dans la journée, la société a signalé un bénéfice net de 457 millions pour son trimestre clos le 31 mars, en baisse de 42,0 % par rapport à celui de 788 millions rapporté pour la même période l’an dernier.

Les revenus de l’entreprise ont aussi été en baisse ; ils sont passés de 6,05  milliards au premier trimestre de 2023 à 6,01 milliards un an plus tard.

Dans un communiqué, M. Bibic s’est tout de même réjoui de voir que le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (BAIIA) a progressé de 1,1 % en un an, atteignant 2,56 milliards au plus récent trimestre.

À son avis, les résultats publiés jeudi « sont le reflet de la capacité continue de l’équipe de Bell à naviguer dans un contexte de concurrence accrue ».

Chez Bell Services de communications et de technologies, les revenus ont atteint 5,37 milliards, en hausse de 0,1 %. Bell a entre autres ajouté 31 078 nouveaux abonnés nets à ses services internet, en hausse de 13,9 % d’une année à l’autre, soit son meilleur résultat à ce chapitre en un trimestre depuis 2007.

De son côté, Bell Média a vu ses revenus diminuer de 7,1 % d’une année à l’autre, pour s’établir à 725 millions, en raison d’une baisse des revenus tirés des abonnements.

Ses revenus publicitaires ont augmenté de 1,6 % grâce à la diffusion du Super Bowl LVIII et de la demande pour la publicité numérique, à la radio et sur les panneaux extérieurs.

Cette hausse a été contrebalancée par la faible demande des annonceurs dans le secteur de la télévision traditionnelle, que l’entreprise attribue à la conjoncture économique défavorable et au report de certains contenus scénarisés dans la foulée de la grève des scénaristes d’Hollywood qui a eu lieu l’an dernier.