Même s’il subventionne des billets d’avion à coups de millions, le gouvernement Legault n’a toujours aucun « portrait juste » de la fiabilité de la desserte régionale, a appris La Presse. Québec est aussi dans le noir quant aux raisons des multiples annulations.

« Aucune donnée publique [n’est] disponible pour établir un portrait juste au Québec », révèle un document présenté mardi au Comité permanent sur le transport aérien régional, qui s’est réuni une première fois depuis sa création en février dernier.

Cette présentation gouvernementale, que La Presse a pu consulter, reconnaît que les retards et annulations de vols sont vivement critiqués par les acteurs régionaux. Ce document est essentiellement un « état de la situation ». On y fait notamment le point sur le nombre de billets subventionnés achetés depuis la mise en œuvre du Programme d’appui aux actions régionales (PAAR).

La rareté de la main-d’œuvre, les pénuries de pièces, les changements réglementaires ainsi que les conditions météorologiques sont évoquées pour expliquer l’absence de fiabilité. Il s’agit aussi d’un « phénomène mondial » dans un contexte de forte reprise après la pandémie de COVID-19, est-il écrit.

Un dossier de La Presse publié jeudi a révélé combien les imprévus aériens sont fréquents en région et à quel point ces aléas génèrent de l’incertitude, du mécontentement et de la colère. Le gouvernement Legault qualifie néanmoins sa mesure de billets à 500 $ de « réussite » alors que le tiers de forfaits offerts ont trouvé preneur.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Le programme des billets à 500 $

Pourquoi autant de turbulences au Québec ? Le ministère des Transports du Québec (MTQ) a confirmé ignorer « les causes précises » de ces perturbations. Pour l’instant, il est à la merci des compagnies aériennes et des sites publics pour évaluer la fiabilité de la desserte et espère y remédier.

« Le comité a demandé aux transporteurs de préciser les données pour brosser un portrait plus juste de la situation », a indiqué son porte-parole Louis-André Bertrand, dans un courriel, jeudi.

Guilbault ne répond pas

Il n’a pas été possible d’en savoir davantage. La ministre des Transports Geneviève Guilbault est passée en coup de vent devant les journalistes à son arrivée au Salon bleu, jeudi. « Excusez, je suis en retard. Je vous reviens plus tard », a-t-elle lancé à La Presse après de la période de questions. Son cabinet a ensuite décliné notre demande d’entrevue.

« Ça ne me surprend pas, je suis dans le transport aérien toutes les semaines pour venir ici [à Québec] », a fait valoir la ministre de l’Emploi et députée de Duplessis, Kateri Champagne Jourdain, qui habite Sept-Îles.

« Je prends l’avion, je constate les lacunes, je constate les enjeux de fiabilité, notamment dans le report des vols, je subis aussi ces conséquences », a-t-elle ajouté, en disant faire confiance au travail du comité.

Faire preuve de fermeté

L’incapacité de Québec à obtenir des données étonne l’expert en aviation et chargé de cours à l’Université McGill, John Gradek. Selon cet ancien haut dirigeant d’Air Canada, le gouvernement Legault est en droit de faire preuve de fermeté, compte tenu des sommes engagées pour subventionner des billets d’avion.

« Il doit y avoir une coopération entre les compagnies aériennes et le parrain du programme pour partager les données, affirme M. Gradek. Les transporteurs doivent mettre leurs cartes sur la table. Voici ce qui était prévu, voici ce qui s’est réalisé et voici le niveau d’assiduité. C’est grâce à cette subvention du gouvernement que des liaisons existent toujours. »

À son avis, la communication des statistiques qui concernent la ponctualité et la fiabilité des liaisons est « nécessaire » à la poursuite du Programme du gouvernement.

Les compagnies aériennes divulguent très rarement des données qui permettent d’évaluer la fiabilité de leur service. Des firmes spécialisées comme Cirium sont capables de compiler des données émanant par exemple de systèmes automatisés de réservation pour brosser un portrait.

L’exercice est cependant plus complexe quand il s’agit de petits transporteurs et d’aéroports régionaux.

Un comité critiqué

Le député péquiste des Îles-de-la-Madeleine, Joël Arseneau, a critiqué jeudi la présence de transporteurs aériens dans le comité permanent sur le transport aérien régional.

« Je ne vois pas ce qu’ils vont apporter comme solution à leur propre turpitude dans la livraison des services de transport aérien, a-t-il déploré. On se demande comment on va trouver des solutions en dehors de la boîte si ce sont les transporteurs qui justifient leur service. Je pense qu’on ne peut pas être juge et partie dans ce dossier. Que les transporteurs fassent partie de la solution, mais qu’on puisse porter un regard objectif, neutre et indépendant, c’est ce qui prime, puis qu’on le fasse rapidement. »

M. Arseneau, qui vit lui aussi les effets des aléas du transport aérien lors de ses déplacements des Îles-de-la-Madeleine vers Québec, affirme que la desserte aérienne « n’a jamais été aussi catastrophique dans l’ensemble des régions du Québec ».

Il déplore la lenteur du gouvernement Legault à agir puisque les premières conclusions du comité permanent sont attendues au 1er avril 2024. « Les régions ne peuvent pas attendre tout ce temps », a-t-il lancé.

Avec la collaboration de Tommy Chouinard, La Presse

Ils ont dit

Les billets à 500 $ ne règlent pas le niveau de service offert. C’est important que le gouvernement soit proactif là-dessus. Je n’ai pas la solution miracle pour ça, mais c’est important que le gouvernement s’assoie avec les compagnies aériennes pour leur dire : bien, comment pouvons-nous nous assurer que les options de vol vont être là pour les citoyens et citoyennes ?

Marc Tanguay, chef intérimaire du Parti libéral du Québec 

C’était encore une fois une solution qui, du point de vue de la communication politique, pouvait avoir l’air vendeuse. Billets à 500 $ ? Tu dis : “Wow ! C’est cool”, mais tout le monde voyait bien que ça ne réglerait pas le problème de fond. C’est exactement ce qui est en train de se produire. Puis c’est au gouvernement de nous expliquer [quelle est] la prochaine étape, parce que la solution, ce n’est pas ça.

Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de Québec solidaire

Lisez Un dossier « loin d’être réglé »
En savoir plus
  • 32 millions
    Budget du PAAR en 2022-2023
    Source : gouvernement du Québec
    261 millions
    Enveloppe totale du programme, qui s’échelonne sur cinq ans
    SOurce : gouvernement du Québec