Après une année difficile marquée par la flambée de l’inflation et des hausses répétées de taux d’intérêt, l’horizon économique semblait vouloir se dégager un peu, selon Guy Cormier, président et chef de la direction du Mouvement Desjardins. Mais les récents déboires enregistrés par certaines banques aux États-Unis et en Europe viennent à nouveau nourrir le climat d’incertitude qui semblait se dissiper.

« L’an dernier, on prévoyait que l’année serait marquée par l’incertitude, puis on est allé d’évènement en évènement. Il y a eu la pandémie, puis la guerre en Ukraine, la lutte contre l’inflation et maintenant, ce sont les marchés financiers qui sont frappés par les déboires de quelques banques.

« Je ne sais pas quelle sera la situation dans trois semaines. Les autorités monétaires avaient resserré les taux d’intérêt, on voyait que l’inflation commençait à reculer, mais là, après la Silicon Valley Bank (SVB), la First Republic Bank et Credit Suisse, est-ce que les banques centrales vont recommencer à injecter de l’argent pour éviter une nouvelle crise ? », s’interroge Guy Cormier.

Le PDG du Mouvement Desjardins ne s’inquiète toutefois aucunement d’une possible contagion de cette crise assez circonscrite aux activités de l’institution québécoise. Le système bancaire canadien est plus solide, mieux réglementé et mieux capitalisé qu’aux États-Unis.

Le Mouvement Desjardins est par ailleurs l’institution financière la mieux capitalisée en Amérique du Nord.

« On a un ratio de capitalisation de 21 %, c’est de 5 à 10 % supérieur aux autres banques. On est une institution d’importance systémique qui gère avec prudence dans une perspective à long terme, sans les aléas à court terme des marchés boursiers », précise Guy Cormier.

Au fil de ses 123 ans d’histoire, Desjardins s’est constitué des réserves de 31 milliards, composées à 26 milliards des bénéfices non réalisés qui ont été accumulés, auxquels s’ajoutent plus de 5 milliards qui ont été souscrits auprès d’épargnants investisseurs.

« Depuis 2016, nos actifs sont passés de 257 à 407 milliards, une augmentation de 150 milliards, c’est quand même considérable », souligne le PDG de Desjardins.

Des activités diversifiées

Le Mouvement Desjardins risque aussi d’être moins touché par une éventuelle crise financière parce qu’il a diversifié ses activités au fil des ans.

« On tire 50 % de nos revenus de nos activités financières avec les particuliers et les entreprises, et 50 % avec nos activités dans l’assurance vie et collective et l’assurance de dommages. On n’est pas dans un seul créneau comme SVB, qui ne prêtait qu’aux entreprises technos », expose Guy Cormier.

L’institution a aussi diversifié ses opérations sur une base géographique en réalisant aujourd’hui de 60 à 65 % de ses activités au Québec et de 35 à 40 % dans le reste du Canada, principalement dans les secteurs de l’assurance et du financement d’entreprises.

« On fait aussi beaucoup de tests de stress pour s’assurer qu’on a une gestion de risques prudente. On a vécu deux gros tests avec l’épisode de fuite de données en 2019 et celui de la pandémie.

« Sinon, on en fait chaque année en simulant l’avènement d’une grosse récession ou le déclenchement d’une guerre, par exemple. Nos simulations nous démontrent que nous avons un niveau de résilience très élevé », indique Guy Cormier.

C’est pour ces raisons que Desjardins obtient parmi les meilleures cotes de crédit de l’industrie en Amérique du Nord, estime le PDG.

Une situation préoccupante

Si le Mouvement Desjardins est bien armé pour faire face aux turbulences générées par le contexte de forte inflation et de taux d’intérêt élevés, son président est préoccupé des répercussions de cette conjoncture sur les membres et les clients de l’institution financière.

« La hausse de 400 points de base des taux d’intérêt a affecté nos clients qui ont des hypothèques à taux variable. On estime qu’il y a de 60 000 à 70 000 détenteurs de ces hypothèques à taux variable dont le paiement mensuel ne couvre plus les intérêts à payer. On pense que 15 % de ces clients pourraient avoir des problèmes », évalue Guy Cormier.

C’est pourquoi, depuis l’automne, Desjardins a appelé chacun de ces 60 000 détenteurs d’hypothèques à taux variable pour discuter des solutions qui s’offrent à eux, comme revoir à la hausse leur paiement mensuel ou revoir l’amortissement. Déjà 50 % d’entre eux ont fait un geste.

« On veut accompagner nos membres et nos clients pour passer à travers cette période. On pense que la Banque du Canada va prendre une pause et cesser de hausser les taux. Les taux ont commencé à monter il y a un an et déjà, on voit les effets sur les prix et sur l’activité du marché immobilier », souligne le président.

L’économiste en chef du Mouvement Desjardins a maintenu dans ses dernières prévisions que les taux devraient commencer à baisser à la fin de 2023 ou au début de 2024, rappelle Guy Cormier, et que les risques d’une légère récession ont été reportés aux 3e et 4e trimestres de l’année.

Pour son dernier exercice financier, Desjardins a enregistré un recul de ses excédents, qui sont passés de 2,9 à 2,05 milliards, un recul essentiellement attribuable à la hausse de près de 600 millions des réclamations d’assurance de dommages.

« Les gens ont recommencé à conduire après la pandémie, il y a eu plus d’accidents et le coût des réclamations a fortement augmenté, tout comme le nombre de vols de véhicules », explique Guy Cormier.

Pour l’exercice en cours, le PDG souhaite que le retour à la normale espéré pour la fin de l’année se réalise et se dit convaincu que la crise de liquidités que viennent d’éprouver certaines banques reste une crise circonscrite et conjoncturelle qui ne se transformera pas en catastrophe comme en 2008.