Malgré un risque de récession à 50 % et les déficits budgétaires, le gouvernement Legault baisse comme promis les impôts de 4,6 millions de Québécois en utilisant la carte de crédit. Ce répit fiscal, « l’élément central » de son budget, s’élève en moyenne à 370 $ par année.

Il ne pourrait y avoir « un meilleur timing » pour réduire le fardeau fiscal des contribuables, a lancé à La Presse Eric Girard avant de présenter son cinquième budget mardi. Le ministre des Finances fait le pari que cette mesure stimulera la consommation et, par conséquent, la croissance économique au plus fort des turbulences appréhendées cette année.

Le gouvernement Legault respecte sa promesse électorale à la lettre : il baisse d’un point de pourcentage les taux des deux premiers paliers d’imposition pour l’année fiscale 2023.

Le taux du premier palier, qui concerne la tranche de revenu imposable allant jusqu’à 49 275 $, passe de 15 % à 14 %. Pour le deuxième palier, donc la tranche de revenus allant de 49 275 $ à 98 540 $, le taux d’imposition sera de 19 % au lieu de 20 %.

La baisse d’impôt atteint 228 $ pour une personne ayant un revenu imposable de 40 000 $. C’est 428 $ pour un revenu de 60 000 $ ; 628 $ pour 80 000 $. Le répit va jusqu’à 814 $ pour les personnes gagnant au-delà de 100 000 $.

L’écart d’imposition avec l’Ontario sera réduit, mais le poids de l’impôt sur le revenu des particuliers par rapport au PIB demeurera plus lourd au Québec (14,3 %) que dans les autres provinces (12,7 %) et la moyenne des pays de l’OCDE (9,5 %).

Les deux millions de Québécois qui ne paient pas d’impôt n’ont pas droit à ce bol d’oxygène, mais Eric Girard rappelle les chèques de 400 $ à 600 $ distribués l’an dernier – une aide non récurrente – et la hausse jusqu’à 2000 $ d’un crédit d’impôt pour les aînés à faible revenu.

On constatera les premiers effets de la baisse d’impôt en juillet – au moment où le ralentissement économique devrait être le plus prononcé. Les retenues à la source, sur le chèque de paie, seront alors révisées à la baisse.

L’État se privera de 1,7 milliard de dollars par année en revenus. C’est le coût estimé du répit fiscal aux contribuables.

La mesure est financée en réduisant les versements annuels au Fonds des générations, qui sert à réduire le poids de la dette. Ce boulet s’alourdira à court terme, passant de 37,4 % à 37,7 % du PIB en un an. Il sera par la suite réduit à 30 % d’ici 15 ans, vise le gouvernement en se fixant ce nouvel objectif. La cible aurait été atteinte plus vite, en 10 ans, s’il avait renoncé à amputer les versements au Fonds. C’est « un bon compromis », selon Eric Girard.

Pour payer la baisse d’impôt, « il n’y aura, et je veux être très clair, aucun impact sur les services », a soutenu le ministre.

La croissance des dépenses de l’ensemble des ministères est tout de même limitée à 1,2 %. Certes, Québec augmente ses dépenses de 7,7 % en santé – surtout grâce à la hausse des transferts d’Ottawa – et de 6 % en éducation. Mais les autres ministères subiront un régime minceur. Leurs budgets sont amputés de 1,8 % globalement.

Malgré la crise du système judiciaire, le budget de la Justice fond de 3,1 %. Celui des Transports et de la Mobilité durable chute de 23,5 % – entre autres parce que l’aide d’urgence aux sociétés de transport en commun sera moins généreuse cette année. Québec retranche autour de 4 % aux budgets du Trésor, de l’Économie, de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

Le déficit atteindra quatre milliards en 2023-2024 après les versements au Fonds des générations (comparativement à cinq milliards pour l’année en cours). Québec maintient l’objectif de retrouver l’équilibre budgétaire en 2027-2028. Il ne détaille pas la feuille de route pour y arriver. Les choix se feront plus tard.

La présidente du Conseil du trésor, Sonia LeBel, annonce une « révision des programmes » et une « optimisation » des ressources visant à récupérer 1,5 milliard par année. La taille de l’État augmentera malgré tout cette année. Quelque 6800 employés à temps plein s’ajouteront aux effectifs actuels de 564 400 travailleurs.

Eric Girard dit avoir un cadre financier « prudent ». Il table sur une croissance économique de 0,6 %, alors que les prévisionnistes du secteur privé la situent plutôt à 0,3 % en moyenne (une décroissance de 0,2 % est même prévue par Desjardins). Ils ne tiennent pas compte de l’effet de la baisse d’impôt, a répliqué le ministre. Il a mis de côté une « provision pour éventualités », un coussin en cas de pépin, de 1,5 milliard pour cette année.

Le ministre a aussi préparé deux « scénarios alternatifs de prévision économique » ; l’un tablant sur une croissance un peu plus forte que prévu, l’autre basé sur une récession. Dans le dernier cas, l’équilibre budgétaire serait atteint malgré tout en 2027-2028 en vidant la provision pour éventualités année après année, selon Eric Girard.

Le Québec a des « avantages indéniables » pour affronter un ralentissement, a-t-il plaidé. « Nous avons un taux d’épargne élevé, un taux d’endettement faible, une économie diversifiée, et nous sommes au plein emploi. »

Le ministre se dit « optimiste » d’échapper à une récession même si « l’année économique sera difficile ».

Sa prévision revient toutefois à un pile ou face : le risque d’une récession est de 50 %, a-t-il reconnu.

Ils ont dit

On a une récession potentielle à nos portes, on voit à la lecture [du budget] que le gouvernement semble voir la vie en rose. […] Pour la baisse d’impôt, c’est un détournement des fonds qui allaient au Fonds des générations. C’est un mauvais choix. […] Je pense qu’il y a un enjeu politique, mais financièrement, ça ne tient pas la route.

Fred Beauchemin, porte-parole de l’opposition officielle en matière de Finances du Parti libéral du Québec

Le budget s’appelle Un Québec engagé et il devrait s’appeler un gouvernement irresponsable. À la place de M. Girard et de François Legault, je serais gêné pour arriver avec une baisse d’impôts comme ça. Ce n’est pas normal que le gouvernement donne 128 $ à la caissière et 814 $ à un PDG d’une compagnie d’alimentation.

Haroun Bouazzi, porte-parole en matière de Finances de Québec solidaire

Le gouvernement, même s’il a reconnu l’existence d’une crise du logement au Québec, ne met pas les efforts pour corriger le tir. […] Plutôt que de réduire l’écart de la crise, avec un budget comme celui-là, la crise va augmenter, on va creuser l’écart entre les besoins et l’offre.

Joël Arseneault, député du Parti québécois

Ce budget-là, on l’a résumé par la magie de la CAQ. Il y a quelque chose d’un peu surréaliste quand on voit un gouvernement qui nous présente un budget et qui s’imagine une baisse du taux d’intérêt, une baisse de l’inflation et pas de récession à l’horizon. Déjà on trouve que ça, c’est un peu curieux, de ne pas se garder une petite réserve.

Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec