Air Canada et le Canadien National (CN) se sont fait tirer l’oreille à au moins deux reprises parce qu’ils tardent à se conformer à la Charte de la langue française. L’Office québécois de la langue française (OQLF) a même été contraint de leur servir un avertissement, l’automne dernier, pour faire bouger les choses.

Dans les mois ayant précédé cette mise en garde, les deux retardataires semblent avoir ignoré les invitations de l’institution québécoise, indiquent des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels. Si le plus grand chemin de fer au pays laisse entendre qu’il pourrait « bientôt » se conformer, le principal transporteur aérien canadien est moins précis.

Les deux entreprises – qui se sont retrouvées au cœur de tempêtes linguistiques – font partie de la faible minorité de sociétés de compétence fédérale qui ne sont toujours pas inscrites auprès de l’OQLF. L’échéance avait été fixée au 1er décembre dernier.

« Il ne vous reste que quelques jours pour le faire », prévient l’Office dans deux missives adressées à Air Canada et au CN qui sont datées du 25 novembre dernier. « L’Office pourrait […] rendre une ordonnance à l’endroit de votre entreprise pour qu’elle se conforme aux dispositions de la Charte ou cesse d’y contrevenir. »

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Bureaux de l’OQLF, à Montréal

En vigueur depuis le 1er juin, la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français – souvent appelée « loi 96 » – a entraîné d’importants changements dans le monde des affaires. Elle oblige les entreprises à charte fédérale de plus de 50 personnes à s’inscrire auprès de l’OQLF. On doit ainsi généraliser l’utilisation du français à tous les niveaux de l’entreprise, sous peine de sanctions. Des articles de la loi 96 sont contestés devant les tribunaux.

Il y a « plus de 95 % » des entreprises concernées qui sont inscrites, affirme l’Office. Des entreprises des secteurs des télécommunications comme Rogers Communications et Telus figurent sur la liste des entreprises certifiées par l’Office, aux côtés d’autres comme la Banque de Montréal et des divisions d’autres grandes banques canadiennes.

Une particularité

Les cas d’Air Canada et du CN – dont les sièges sociaux se trouvent à Montréal – comportent une particularité : il s’agit d’entreprises de compétence fédérale qui sont également assujetties à la Loi sur les langues officielles – qui s’accompagne d’obligations concernant l’usage du français et de l’anglais.

Un premier rappel avait été envoyé par l’Office au chef de la direction d’Air Canada, Amos Kazzaz, ainsi qu’à la présidente-directrice générale du CN, Tracy Robinson, le 17 août dernier. On soulignait aux deux entreprises leur silence radio à la suite de l’envoi de la demande d’inscription.

« Nous constatons que vous n’avez pas donné suite à cette demande, indique-t-on à M. Kazzaz et à Mme Robinson. Nous vous prions à nouveau de communiquer ces informations. »

Il n’a pas été possible d’obtenir tous les échanges entre l’OQLF, Air Canada et le CN. L’institution québécoise dit ne pas avoir obtenu leur « consentement » pour divulguer les communications émanant de chacune des entreprises.

Visiblement, on est à la recherche d’assouplissements du côté des deux sociétés. En début d’année, elles ont chacune bonifié leur inscription au Registre des lobbyistes pour « expliquer » leur « contexte juridique particulier ».

Le chien de garde de la langue française n’a pas offert de mise à jour.

« Comme il le fait auprès de toutes les entreprises, l’Office mise sur une approche de collaboration avec Air Canada et le CN, indique sa porte-parole, Chantal Bouchard. Il poursuit les discussions avec les deux compagnies. »

Dans une déclaration, le transporteur ferroviaire a dit qu’il souhaitait « s’inscrire volontairement » auprès de l’OQLF, sans toutefois préciser les aménagements recherchés. Le chemin de fer affirme aussi avoir « répondu rapidement à chaque lettre » en imputant les « multiples demandes » à son endroit à « une confusion administrative avec ses filiales ».

« Nos échanges sont productifs et nous espérons trouver un terrain d’entente bientôt », a souligné le CN.

Chez Air Canada, on dit tenter de « comprendre » comment « les deux régimes linguistiques, qui sont différents tout en comportant des éléments communs, pourraient être appliqués de manière conciliable et sans risque de conflits ».

Des taches au dossier

Air Canada s’était retrouvée au cœur d’une vive controverse linguistique à l’automne 2021 lorsque son président et chef de la direction, Michael Rousseau, avait affirmé avoir été en mesure de vivre au Québec, où il est installé depuis 2007, sans parler français. Puis, il y a un peu plus d’un an, le CN avait été sévèrement critiqué pour avoir temporairement fermé les portes de son conseil d’administration aux francophones.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Michael Rousseau, président et chef de la direction d’Air Canada

Consultant en conformité des entreprises à la Charte de la langue française, Denis Villeneuve n’est pas étonné des démarches d’Air Canada et du CN. En vertu de la Charte de la langue française, les entreprises doivent limiter l’exigence d’une autre et elles doivent obtenir un certificat de francisation.

« Il y a des exemptions, mais l’Office ne les accorde qu’au compte-gouttes, dit M. Villeneuve. Cela explique qu’on se retrouve dans des situations plus difficiles. »

Les démarches de l’OQLF se déroulent sur fond de modernisation de la Loi sur les langues officielles du Canada dans la foulée du dépôt du projet de loi C-13, l’an dernier. Pour l’instant, la pièce législative prévoit que les entreprises de compétence fédérale pourront choisir entre le cadre réglementaire du Québec et celui d’Ottawa.

Le projet de loi est toujours étudié par un comité parlementaire. En théorie, il pourrait y avoir des amendements.

Avec William Leclerc, La Presse

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En savoir plus
  • 150
    Nombre d’entreprises qui avaient demandé la suspension de la loi 96 dans une lettre ouverte en août dernier
    Source : la presse
    2025
    Année où le seuil de l’obligation de francisation pour une entreprise passera de 50 à 25 employés
    Source : OQLF