Une situation « inacceptable » pour la CDPQ

La plus grande compagnie de chemin de fer du pays ferme les portes de son conseil d’administration aux francophones même si son siège social est à Montréal et qu’il est assujetti à la Loi sur les langues officielles. La situation est qualifiée d’« inacceptable » par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) – l’un des grands actionnaires de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN).

Malgré un avertissement du gouvernement Legault sur la question linguistique lancé il y a quelques mois et dont La Presse a révélé l’existence, le transporteur ferroviaire montréalais n’a retenu aucun candidat local pour faire partie de son équipe de 11 administrateurs, qui doit accueillir trois nouveaux administrateurs : deux Américains et une Albertaine.

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« Ce manque de représentation francophone […] est tout simplement inacceptable, affirme le porte-parole de la CDPQ, Maxime Chagnon. Nous sommes extrêmement déçus que le CN ne tienne pas compte de cet aspect important dans la composition de son conseil d’administration. »

Les intentions du CN sont divulguées dans la circulaire envoyée à ses actionnaires en vue de son assemblée annuelle du 20 mai. On y apprend aussi que les cinq principaux dirigeants de la compagnie ont vu leur paie totale atteindre 29 millions en 2021 – une hausse annuelle de 19 %.

Le thème entourant la maîtrise des deux langues officielles du Canada chez les dirigeants d’entreprise est de retour dans l’espace public depuis le tollé suscité l’automne dernier par le président et chef de la direction d’Air Canada, Michael Rousseau.

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À moins d’un revirement de situation, Tracy Robinson, inscrite à des leçons de français, se joindra à une équipe où la maîtrise du français est pratiquement inexistante. L’ancienne haute dirigeante de TC Énergie sera l’unique représentante du Québec au C.A. lorsqu’elle sera officiellement installée dans la métropole. Son prédécesseur, Jean-Jacques Ruest, qui vient de tirer sa révérence, était parfaitement bilingue. Le CN n’a pas voulu dire qui, parmi les candidats à un siège au conseil, maîtrisait le français.

PHOTO TIRÉE DU SITE INTERNET DU CN

Tracy Robinson est présidente-directrice générale du CN

Cela envoie un signal aux cadres et travailleurs francophones qu’ils sont l’équivalent de citoyens de seconde classe. Le tiers des membres devraient être originaires du Québec.

Richard Leblanc, spécialiste de gouvernance, de droit et d’éthique à l’Université York, à Toronto

Exode francophone

Recruté comme administrateur en janvier dernier, l’ex-premier ministre québécois Jean Charest a déjà démissionné pour briguer la direction du Parti conservateur du Canada. M. Ruest et Julie Godin, haute dirigeante de CGI, étaient les représentants francophones au C.A. ces dernières années. Mme Godin a quitté le conseil l’automne dernier.

« Il est pour le moins surprenant qu’ils n’aient pas pu trouver de candidats francophones qualifiés résidant au Québec, a déploré le porte-parole de la CDPQ. Nous leur avions pourtant parlé à plusieurs reprises et les avions encouragés à mieux représenter leurs parties prenantes. »

Le bas de laine des Québécois arrive au dixième rang des principaux actionnaires du CN, selon la firme de données financières Refinitiv, avec sa participation d’environ 1,7 %.

Dans un courriel, la compagnie de chemin de fer a affirmé que les trois nouveaux membres apporteraient une « expérience pratique » de l’industrie ferroviaire chez les administrateurs. Sur la question du français, la société s’est bornée à souligner les engagements de sa nouvelle dirigeante, en ajoutant que ses « employés », ses « clients » et les « communautés » qu’elle traverse pouvait communiquer « dans la langue de leur choix ».

Ivan Tchotourian, professeur de l’Université Laval spécialisé dans la gouvernance, s’étonne de voir le CN mettre en valeur certaines cibles en matière de diversité, comme celle du genre au sein des administrateurs et de la haute direction, mais que le concept ne semble pas s’appliquer à la langue.

La diversité, on la met à toutes les sauces, mais pas pour la langue. C’est un signal assez maladroit. On ne voit même pas la question linguistique dans les listes qui vantent les qualités des administrateurs.

Ivan Tchotourian, professeur de l’Université Laval spécialisé dans la gouvernance

Du côté d’Ottawa, la réponse a été plus nuancée, mais on a réitéré les obligations du CN en matière de langues officielles. Le cabinet du ministre des Transports, Omar Alghabra, dit s’attendre à ce que « [les] dirigeants, y compris les membres du conseil d’administration, [montrent] l’exemple ».

Le son de cloche a été similaire du côté du gouvernement Legault, qui a souligné qu’il s’agissait « d’une marque de respect de s’adresser à la communauté d’affaires du Québec dans sa langue officielle, le français ».

Une prime pour commencer

Même si elle a obtenu une promotion en acceptant le poste de présidente-directrice générale du CN, Mme Robinson a néanmoins eu droit à une « prime compensatoire » à l’embauche d’environ 1,7 million. Le CN a justifié ce paiement en expliquant que sa nouvelle présidente avait renoncé à cette somme chez son ex-employeur.

L’entreprise a fixé la rémunération globale de sa nouvelle patronne à 11,5 millions pour 2022.

Le CN en bref :

  • Siège social : Montréal
  • Employés : 22 600
  • Revenus : 14,5 milliards
  • Bénéfice net : 4,2 milliards
  • Réseau : 31 500 km au Canada et aux États-Unis

(Source : rapport annuel 2021 du CN)

Appel à tous

Une entreprise publique établie à Montréal comme le CN peut-elle avoir un conseil d’administration entièrement anglophone ?

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    Tracy Robinson connaît bien l’industrie ferroviaire, puisqu’elle a passé 27 ans au Canadien Pacifique, le grand rival du CN.
    Source : CANADIEN NATIONAL