La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a été rappelée à l’ordre par Québec – pratique rarissime, selon des experts en gouvernance – pour son manque d’engagement envers le français lors du processus ayant mené à l’embauche d’une présidente inscrite à des leçons pour apprendre la langue, a appris La Presse.

Malgré la tempête linguistique déclenchée l’automne dernier par le grand patron d’Air Canada, Michael Rousseau, le plus important chemin de fer au pays n’avait jamais dit clairement si la langue de Molière jouait un rôle dans l’évaluation des potentiels successeurs de Jean-Jacques Ruest, bilingue.

Lisez « Faut-il maîtriser le français pour diriger le CN ? »

Le ministre des Transports du Québec, François Bonnardel, a adressé un avertissement au CN, établi à Montréal et assujetti à la Loi sur les langues officielles.

« Je n’ai pas vu d’engagement ferme de votre part à l’effet que la maîtrise du français serait prise en compte pour cette nomination », écrit-il dans une lettre obtenue en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.

Dans cette lettre adressée l’automne dernier à Robert Pace, président du conseil d’administration du CN, M. Bonnardel ajoute que la « nomination d’un(e) PDG maîtrisant la langue française et sensible aux enjeux ainsi qu’aux défis propres du Québec est requise ».

Des promesses

L’entreprise a finalement opté pour Tracy Robinson en janvier dernier. En poste depuis le 28 février dernier, cette ex-haute dirigeante de TC Énergie n’était pas étrangère au français, mais est inscrite à des cours pour parfaire sa maîtrise de cette langue. Mme Robinson a vécu à Montréal de 1994 à 1996 alors qu’elle travaillait pour le Canadien Pacifique, grand rival du CN.

En répondant à M. Bonnardel le jour de l’embauche de sa nouvelle recrue, le transporteur ferroviaire ne fait que souligner les engagements de cette dernière.

« Mme Robinson déménagera à Montréal [et] elle a déjà commencé à prendre des cours de français », écrit l’entreprise, qui se félicite également de l’arrivée de l’ex-premier ministre Jean Charest à son conseil d’administration.

La réponse du CN n’est pas signée par M. Pace, destinataire de la lettre du ministre des Transports, mais par Sean Finn, vice-président aux services corporatifs et chef de la direction des affaires juridiques.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉCOLE NATIONALE D’ADMINISTRATION PUBLIQUE

Marie-Soleil Tremblay, professeure à l’École nationale d’administration publique

Professeure à l’École nationale d’administration publique, Marie-Soleil Tremblay dit avoir rarement entendu parler d’interventions gouvernementales comme celle de M. Bonnardel. Tout est une question d’équilibre, dit la spécialiste.

Il n’y a pas de mal à sensibiliser les entreprises à des enjeux que l’on trouve importants. La question est de savoir si j’ai, comme gouvernement, un rôle à jouer dans la gouvernance d’une entreprise privée.

Marie-Soleil Tremblay, professeure à l’École nationale d’administration publique

Par courriel, le gouvernement Legault a affirmé que le « choix du PDG » appartenait au CN, sans préciser clairement si la réponse de l’entreprise était jugée satisfaisante. Pour sa part, le transporteur ferroviaire a affirmé que la capacité de communiquer en français était une « priorité » de Mme Robinson.

Vide francophone

Candidat à la direction du Parti conservateur du Canada, M. Charest a déjà démissionné du conseil d’administration du CN. On ne retrouve donc plus de francophone au C.A.

« C’est quand même étonnant qu’une entreprise de cette taille ne compte qu’un francophone au conseil, déplore Ivan Tchotourian, professeur de l’Université Laval spécialisé dans la gouvernance. C’est faible pour une entreprise installée à Montréal. »

L’expert voit aussi d’un bon œil l’intervention de M. Bonnardel l’automne dernier. Même si cette pratique n’est pas habituelle, M. Tchotourian estime que le gouvernement québécois ne « peut pas se désintéresser de la question du français ».

Le CN n’a pas voulu dire s’il s’engageait à remplacer M. Charest par un candidat francophone. L’assemblée annuelle de l’entreprise est prévue le 20 mai.

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse

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    Tracy Robinson est la quatrième personne à prendre les commandes du CN depuis 2016. Elle succède à Claude Mongeau, Luc Jobin et Jean-Jacques Ruest.