Installé au Québec depuis 2007, l’actuel patron d’Air Canada Michael Rousseau a pu y vivre paisiblement même s’il maîtrise uniquement l’anglais et dit ne pas avoir l’intention d’apprendre la langue de Molière en raison de son emploi du temps chargé, déclenchant une tempête linguistique à Québec ainsi qu’à Ottawa.

La priorité du principal intéressé est plutôt de ramener « Air Canada où elle se trouvait » avant que la compagnie aérienne ne soit sévèrement secouée par la pandémie de COVID-19, a-t-il plaidé, mercredi, en marge d’une allocution devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) – également étonnée des propos de son invité.

« Si vous regardiez mon emploi du temps, […] vous comprendriez que c’est sur quoi je dois me concentrer », a affirmé M. Rousseau, en poste depuis février dernier, au cours d’une mêlée de presse de quelques minutes.

Montréal abrite le siège social de la plus importante société aérienne au pays, assujettie à la Loi sur les langues officielles.

Les propos du président et chef de la direction d’Air Canada, qui surviennent alors que le gouvernement Legault souhaite donner plus de mordant à la loi 101, n’ont pas tardé à faire réagir dans la sphère politique.

Dans un gazouillis sur Twitter, le ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française, Simon Jolin-Barrette, s’en est pris à l’invité de la CCMM.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française

Le grand patron d’Air Canada exprime tout ce que nous avons rejeté il y a des décennies : le mépris pour notre langue et notre culture chez nous au Québec, a-t-il écrit. Ces propos sont indignes des fonctions qu’il occupe.

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice et ministre responsable de la Langue française

En soirée, la ministre des Langues officielles, Ginette Petitspas Taylor a invité M. Rousseau « faire l’effort » d’apprendre « la magnifique langue qu’est le français », mais son collègue au Patrimoine canadien et lieutenant du Québec Pablo Rodriguez est allé plus loin.

« L’insulte à l’injure, a-t-il écrit, sur le réseau social. Air Canada doit des explications aux Québécois et aux francophones de partout au pays. C’est un manque de respect envers notre langue. Inacceptable ! »

Sans problème

M. Rousseau était chef de la direction financière de l’entreprise depuis 2007 avant de succéder à Calin Rovinescu aux commandes de l’entreprise en février dernier.

La conjointe du nouveau patron d’Air Canada est francophone. En soulignant que sa famille avait des « origines francophones », ce dernier a reconnu qu’il avait pu vivre dans la région de Montréal pendant plus d’une décennie sans avoir à communiquer en français.

« C’est à l’honneur de la ville », a analysé M. Rousseau, au moment où le gouvernement Legault veut donner plus de mordant à la loi 101

Les déclarations de l’homme d’affaires ont rapidement été critiquées.

« Je trouve ces propos épouvantables et irrespectueux, a lancé au bout du fil la cheffe du Parti libéral du Québec Dominique Anglade. Air Canada a franchement la manie de ne pas comprendre l’impact de ses décisions. »

Celle-ci a invité le gouvernement Trudeau à se mêler du dossier.

Vraiment désolant de voir aussi peu de considération pour les francophones. Le déclin du français est bien réel. Il faut montrer l’exemple et agir.

Alain Rayes, porte-parole du Parti conservateur du Canada en matière de langues officielles

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a de son côté souligné, sur Twitter, que le Québec, « dont la seule langue commune et officielle est le français, […] paie plus de 20 % des subventions et aides fédérales à Air Canada », en référence au soutien accordé au transporteur.

Au Parti québécois, le chef Paul St-Pierre Plamondon a estimé que le français représentait une « peccadille optionnelle » pour M. Rousseau.

Par-ci par-là

À l’exception d’une phrase en lever de rideau ainsi qu’au moment de terminer son discours, M. Rousseau s’est adressé presque exclusivement en anglais, pendant environ 25 minutes, au parterre de gens d’affaires réunis.

Le président et chef de la direction de la CCMM, Michel Leblanc, n’a pas caché son étonnement de l’absence d’engagement du patron d’Air Canada à l’endroit du français.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Leblanc

J’ai été surpris de voir que l’allocution comprenait très peu de français. C’est clair que pour nous, un président qui irait s’installer à Madrid, qui ne connaît pas l’espagnol, devrait s’engager à reconnaître que c’est la chose à faire de l’apprendre. C’est la même chose au Québec.

Michel Leblanc, président et chef de la direction de la CCMM

Air Canada a été écorchée à plus d’une reprise par le Commissariat aux langues officielles pour ses manquements en matière d’obligations linguistiques. Les plaintes ont souvent concerné les ratés du service en français, l’une des deux langues officielles au Canada.

L’entreprise avait même fait l’objet d’un rapport spécial en 2016.

Sur ce point, M. Rousseau a affirmé qu’Air Canada dépensait annuellement « des dizaines et des dizaines de millions de dollars » pour que son personnel maîtrise les deux langues officielles.

« Je pense que nous faisons, franchement, un bon travail », a-t-il dit.

Il s’agissait du premier discours de M. Rousseau devant la CCMM depuis sa promotion. Il a essentiellement témoigné des progrès réalisés par l’entreprise depuis le choc initial de la crise sanitaire, ce qui avait notamment mené au licenciement de plus de 20 000 de ses employés.