La section Affaires de La Presse accorde un espace à une lettre d’opinion d’un acteur du monde des affaires. Entrepreneurs et gestionnaires, la parole est à vous. Soulevez des questions, faites part de vos expériences, proposez des solutions, exprimez vos opinions.

Les manchettes de la dernière semaine sont préoccupantes : les géants Google et Microsoft éliminent respectivement 12 000 et 10 000 emplois d’un coup. Ça fait pas mal de monde ; si on voulait accueillir tous ces gens dans un seul endroit à Montréal, il faudrait aller au Stade olympique, parce qu’il manquerait tout juste de places assises au Centre Bell.

La même semaine, des champions canadiens comme Lightspeed et Clearco ont supprimé des centaines d’emplois dans le corridor Québec-Windsor, et Hootsuite, établie à Vancouver, élimine des dizaines de postes pour la troisième fois en un an. Nous apprenions aussi que Britishvolt, une société britannique qui promettait encore il y a quelques mois une usine de batteries au Québec, est en faillite après avoir levé la rondelette somme de 2,5 milliards US.

Le secteur techno est-il en déconfiture totale ? Faut-il paniquer, vendre tous ses biens et adopter un mode de vie nomade dans un endroit tropical ?

Non, une analyse sommaire nous rappellera d’ailleurs à tout coup que la sédentarité a ses avantages. Plus sérieusement, il faut éviter de tout mettre dans le même panier et, surtout, gratter un peu pour voir que les géants et les sociétés en croissance font des gestes en apparence identiques, mais vivent carrément dans deux dimensions différentes.

D’abord, mettons les choses en perspective. Les 10 000 employés remerciés par Microsoft représentent une petite fraction des effectifs totaux, soit moins de 5 %. Ensuite, la société a beaucoup grossi dans la dernière année, étant passée de 180 000 employés en juin 2021 à 221 000 avant les licenciements. Au net, Microsoft a donc ajouté plus de 30 000 emplois, soit l’équivalent de toute la population active de Blainville, en 18 mois et des poussières. Il appert donc que malgré le bruit médiatique et les journées très difficiles pour les employés touchés, on est assez loin de l’apocalypse. Et sachez que les chiffres sont similaires chez Google.

Pour le moins gros gibier, c’est une autre histoire. En effet, la réduction des effectifs est souvent plus inquiétante, surtout du côté des entreprises en phase de croissance (appelées scale-up). De nombreuses boîtes qui jadis (l’an dernier) étaient encouragées par leur conseil d’administration à embaucher tout ce qui avait un pouls sont maintenant contraintes de réduire leurs effectifs de l’ordre de 10 à 50 %.

Or, où Microsoft essaie seulement d’ajouter 1 milliard à son profit qui en comptait près de 18 au dernier trimestre, les scale-up font quant à elles un sacrifice important. En effet, certaines, voire la plupart, doivent ralentir considérablement la croissance pour tenter à tout prix de devenir profitables. Ce faisant, elles réduisent leurs chances de devenir un géant parce que, dans le secteur, la vitesse d’exécution est presque toujours la clé du succès à grande échelle.

Plusieurs n’ont cependant pas le choix de faire ce sacrifice, puisqu’elles doivent à présent démontrer que la profitabilité n’est pas loin afin d’obtenir une prochaine ronde de financement qui permettra de continuer le combat. Pour sa part, Microsoft est assise sur plus de 100 milliards  US en liquidités et semble avoir de la difficulté à dépenser tout cet argent, notamment à cause des contraintes monopolistiques qui limitent les sociétés qu’elle peut acheter.

Il y a donc un énorme fossé qui sépare les entreprises en croissance des géants hyper profitables, et les licenciements récents doivent être vus sous cet angle. Or, en l’occurrence, le Québec et le reste du Canada ne comptent pas beaucoup de titans technologiques, mais pas mal d’entreprises de taille moyenne avec de grandes aspirations. La symbolique d’une scale-up qui en arrache à Québec, Montréal ou même Toronto et congédie 100 personnes est donc tout autre qu’une erreur d’arrondissement de 10 000 personnes sur la côte ouest des États-Unis, même si ça attire beaucoup moins l’attention.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Lightspeed a supprimé des emplois la semaine dernière.

Une occasion

Cela dit, même si le Canada ne compte pas de colosse techno de 200 000 employés, l’industrie des TI y est quand même assez importante. Un rapport de CompTIA publié l’année dernière la chiffrait d’ailleurs à 1,24 million d’emplois. On comprend donc que l’abolition de quelques centaines ou quelques milliers de postes ne met pas en péril la pérennité de l’industrie pour le moment. Par contre, on peut s’attendre à ce que certaines sociétés assez connues du public soient menacées d’extinction.

Il faut se rappeler que de toute crise émergent des occasions. Si vous habitez sur Terre depuis quelques mois, vous savez qu’on a besoin de plus de gens qualifiés pour aider nos entreprises. De nombreuses petites boîtes de techno se plaignent même depuis des années de ne pas pouvoir trouver les talents nécessaires pour soutenir leur croissance.

Voici donc la chance : depuis la fin de la Grande Récession, nous n’avons pas connu de période aussi propice au recrutement de gros canons qui vont inciter les entreprises à repousser leurs limites et mener les prochaines étapes de création de valeur. Certains sont maintenant disponibles et, s’ils ne le sont pas publiquement, soyez assurés que la turbulence des dernières semaines les rend un peu plus attentifs à ce qui pourrait tomber dans leur boîte de courriel.