D’importantes questions demeurent sans réponse même si l’achat de 88 avions de combat F-35 par Ottawa est officiel. On ignore par exemple où sera situé l’atelier de réparation et qui formera les pilotes qui s’installeront aux commandes des chasseurs. L’enjeu des retombées du contrat conclu avec Lockheed Martin est de taille pour l’industrie aérospatiale québécoise.

« Ce que l’on aimerait, c’est avancer dans la chaîne et effectuer l’entretien des trains d’atterrissage et pas seulement [fabriquer] le système comme on le fait depuis le début, explique Martin Brassard, président et chef de la direction d’Héroux-Devtek. C’est une façon dont le contrat pourrait être bénéfique pour nous. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Brassard, président et chef de la direction d’Héroux-Devtek

Le spécialiste des trains d’atterrissage et des composants d’aéronautique est l’un des rares acteurs du secteur aéronautique québécois qui figure parmi les partenaires du F-35 – cet avion présenté comme le plus avancé d’un point de vue technologique. L’entreprise établie à Longueuil fabrique les systèmes de verrouillage des portes pour les trains d’atterrissage du chasseur furtif. Elle aimerait toutefois jouer un rôle au chapitre de la maintenance. Il y a toutefois « zéro garantie » du gouvernement canadien que cela se produira, selon M. Brassard. À l’instar d’autres représentants de l’industrie joints par La Presse, lundi, l’homme d’affaires ignore encore comment se matérialiseront certaines retombées du contrat.

Dans le secteur aérospatial, des sources, qui ont demandé à ne pas être nommées par crainte de représailles du gouvernement Trudeau, ne se sont pas gênées pour dire qu’elles auraient aimé voir une plus grande collaboration de la part des autorités fédérales, ainsi que des engagements plus fermes.

Si la facture est de 19 milliards pour l’achat des appareils qui remplaceront les vieux CF-18, elle est estimée à 70 milliards sur le cycle de vie du programme, qui devrait s’échelonner sur trois décennies. Les contrats qui découleront de l’entretien, la réparation et la formation, notamment, s’annoncent lucratifs.

« Il y a du travail que Lockheed Martin veut faire elle-même ou avec des sous-traitants avec qui elle fait affaire, s’inquiète David Chartrand, vice-président général de l’Association internationale des machinistes et travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA). Fabriquer un avion, c’est une chose, mais l’entretenir, c’est très lucratif. Malheureusement, on ne sait toujours pas quelle portion du F-35 l’on pourra entretenir. »

Dans une déclaration, la présidente-directrice générale d’Aéro Montréal, Suzanne Benoît, a insisté qu’il était « primordial » de miser sur le « savoir-faire local » en matière d’entretien et de formation des pilotes du F-35.

« Il est primordial que nous profitions de ce genre de projet pour veiller à la souveraineté du Canada », a-t-elle écrit.

Encore flou

Selon la politique des retombées industrielles et technologiques du Canada, les entreprises doivent générer des retombées équivalentes à la valeur du contrat. Sur son site web, Lockheed Martin évoque des retombées d’environ 17 milliards. La ventilation de cette somme n’est pas précisée.

Selon les documents fournis par Services publics et approvisionnement Canada, les entreprises canadiennes partenaires du F-35 profiteront des retombées de la « production attendue de 3000 chasseurs à l’échelle mondiale ».

L’entente entre le gouvernement Trudeau et le géant américain prévoit la « mise en place d’un programme de formation » et de « services d’entretien », mais il n’avait pas été possible d’obtenir plus de détails, lundi.

On se limite à évoquer « d’importantes possibilités de soutien », sans fournir de chiffres.

« Nous pourrions nous servir d’importants achats militaires pour soutenir notre industrie, mais je pense qu’avec le F-35, on ne le fait pas, croit Mehran Ebrahimi, professeur à l’Université du Québec à Montréal et directeur de l’Observatoire de l’aéronautique et de l’aviation civile. Il y a des choses [entretien et formation] que l’on pourrait exiger, et on ne le fait pas. »

En attente

Ce qui était clair avec Boeing et Saab – les deux autres constructeurs qui convoitaient le contrat du remplacement des CF-18 – l’est donc beaucoup moins avec Lockheed Martin et le F-35.

Au Québec, L3Harris et CAE, deux acteurs d’envergure, comptaient parmi les cinq partenaires privilégiés identifiés par Boeing dans sa proposition. La première entreprise aurait été chargée de l’entretien des chasseurs et la seconde aurait hérité de ce qui gravite autour de la formation. Saab promettait pour sa part un centre de maintenance sur le territoire québécois en plus de miser sur CAE pour la formation.

Établie à Montréal, CAE nage dans l’inconnu. Ce sont pourtant les salariés de la multinationale qui supervisent les simulateurs des CF-18 installés dans les bases de Bagotville et de Cold Lake (Alberta).

« À ce stade-ci, nous ne pouvons confirmer si CAE sera mise à contribution […] dans le cadre du projet F-35, souligne sa vice-présidente, défense et sécurité, Canada, France Hébert, dans une déclaration. Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de rater cette occasion unique de créer et protéger la prochaine génération d’emplois dans le secteur aérospatial au Canada. »

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE CAE

La vice-présidente, défense et sécurité, Canada, chez CAE, France Hébert

Le portrait est similaire chez L3Harris, à Mirabel, dans les Laurentides, où sont réparés les CF-18. Le directeur général de l’entreprise, Ugo Paniconi, reste positif, mais confirme qu’il n’y a pas eu d’échanges avec Lockheed Martin à propos du F-35.

« C’est normal à ce stade-ci, explique-t-il. C’est une bonne nouvelle de voir le contrat [pour les 88 F-35] finalisé. C’est sûr que nous sommes intéressés à participer. On espère pouvoir démarrer des discussions. »

Au printemps 2022, L3Harris, qui compte plus de 650 employés à Mirabel, avait décroché une prolongation de contrat évaluée à 610 millions pour entretenir les CF-18 jusqu’à la fin de leur vie utile, prévue en 2032.

En savoir plus
  • 890 appareils
    Livraisons approximatives de F-35 effectuées par Lockheed Martin à ce jour.
    source : lockheed martin
    9
    En plus du Canada, le F-35 est déployé dans neuf pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Australie.
    source : Lockheed martin