Lors du récent discours d’ouverture de la nouvelle session de l’Assemblée nationale, le premier ministre, en fixant les principaux objectifs de son gouvernement, a beaucoup insisté sur les résultats. Il veut des réalisations concrètes qui marqueront des avancées significatives, secteur d’intervention par secteur d’intervention. On ne peut qu’être d’accord avec ce souhait.

Il s’accorde d’ailleurs parfaitement avec la Loi sur l’administration publique (LAP). Celle-ci a créé un cadre de gestion qui met l’accent sur la performance des ministères et organismes publics dans l’atteinte de résultats en fonction d’objectifs préétablis, rendus publics et mesurés à l’aide d’indicateurs. Et les présidents du Conseil du trésor font état chaque année des progrès accomplis dans la mise en œuvre d’une gestion axée sur les résultats.

Le problème, c’est que cette réforme est encore loin d’être complète, car le lien avec le budget reste largement inexploité. Nulle part dans les documents budgétaires, on ne fait le lien entre les objectifs poursuivis et les sommes qui y sont affectées. Comment savoir si l’argent que l’on ajoute aux crédits publics permet d’atteindre les résultats que l’on recherche si on ne connaît pas le coût des services à rendre ?

Déconnexion entre les planifications stratégiques et budgétaires

Le Secrétariat du Conseil du trésor définit les programmes budgétaires comme « un ensemble cohérent et structuré d’objectifs, de ressources et d’activités permettant la production de biens et de services visant à répondre à un ou à plusieurs besoins précis d’une population ciblée ». Ils peuvent prendre différentes formes : projets, services, initiatives, interventions, stratégies ou plans d’action. À un programme donné est donc associée une présentation hiérarchisée des objectifs poursuivis, qu’ils soient opérationnels ou stratégiques, suivant un enchaînement logique des résultats à atteindre.

La Loi sur l’administration publique prévoit le dépôt à l’Assemblée nationale d’un ensemble intégré de documents, soit le Plan stratégique, le Plan annuel de gestion des dépenses et le Rapport annuel de gestion, le tout dans une perspective de reddition de comptes auprès des parlementaires et dans le but de faciliter leur rôle de surveillance de l’administration.

On pourrait donc s’attendre à ce que les budgets présentés à l’Assemblée nationale reflètent cette disposition et qu’il soit possible de voir à quelles fins sont votés les crédits et quels résultats sont recherchés. Il n’en est pourtant rien. Ces trois documents importants, n’ayant pas de dénominateurs communs, ne sont pas établis sur la même base et s’articulent mal les uns aux autres, de sorte qu’il est difficile de tirer un portrait clair des liens entre le financement accordé et les objectifs poursuivis par les programmes.

Il s’ensuit que cette déconnexion des planifications stratégiques et budgétaires rend le travail des parlementaires (qui cherchent à comprendre la valeur ajoutée des crédits qu’ils votent) particulièrement ardu.

La recherche d’une plus grande transparence budgétaire

Pour comprendre les données budgétaires, il faut commencer par s’intéresser à la gestion publique et aux services fournis par l’administration. Comment juger des choix de priorités du gouvernement si on ne sait rien des programmes publics ? Ceux-ci sont les véhicules qui transfèrent vers les besoins des citoyens les prélèvements monétaires dont ils ont été l’objet. Correspondent-ils aux souhaits de la population ? Sont-ils à la hauteur des engagements pris par le gouvernement ? Les rapports annuels des présidents du Conseil du trésor nous apprennent que rares sont les ministères en mesure de situer la portée budgétaire de leurs orientations stratégiques.

Prenons l’exemple du ministère de la Santé et des Services sociaux, qui reçoit grosso modo la moitié des crédits attribués par le gouvernement aux programmes budgétaires. Nulle part dans les documents précités n’est-on en mesure de faire le lien entre les ressources et les résultats. Comment savoir, dans ce contexte, si l’attribution par exemple d’un budget supplémentaire de 100 ou de 300 millions aux soins à domicile est pertinente ? Certes, il s’agit d’une priorité, mais on ne sait pas quel sera l’impact de cet ajout financier sur les objectifs opérationnels.

Il sera donc impossible de dire à la fin de l’année si ce budget augmenté de centaines de millions de dollars a permis d’améliorer sensiblement la prestation de services.

Si l’on veut assurer une utilisation optimale des ressources de l’État, il faut être en mesure de connaître le coût de revient des services publics, c’est-à-dire l’ensemble des charges directes et indirectes supportées pour produire ces services. Cette connaissance, dans l’administration publique québécoise, est aujourd’hui parcellaire, malgré certains progrès. Elle est pourtant nécessaire pour accroître la pertinence, l’efficience et l’efficacité des interventions publiques.

Vers une budgétisation axée sur les résultats

Les documents produits en vertu de la LAP font peu de liens avec la structure des programmes et les éléments de programmes budgétaires, de sorte qu’il est difficile de voir en quoi les allocations budgétaires qui sont faites permettent d’améliorer la performance et de donner les résultats attendus.

L’articulation de l’architecture budgétaire des programmes et de la gestion axée sur les résultats voulue par la LAP constitue une sorte de prérequis à une budgétisation publique davantage tournée vers la prise en compte des résultats à atteindre.

Pour atteindre les résultats souhaités par le premier ministre, il ne suffit pas d’augmenter le budget des ministères, il faut d’abord s’assurer qu’on fait le maximum avec ce que l’on a déjà. Ensuite, voir ce qu’un ajout de ressources permettrait de faire. Encore faut-il pouvoir compter sur une jonction adéquate des objectifs stratégiques et des programmes budgétaires.