Les négociations de gré à gré entre Bell Textron Canada et le ministère des Transports du Québec (MTQ) pour l’achat de deux hélicoptères – un contrat de plusieurs dizaines de millions de dollars – ne suscitent pas seulement de l’étonnement chez Airbus. Le choix du gouvernement Legault a aussi surpris ceux qui seront chargés de piloter ces appareils, a appris La Presse.

Des pilotes du Service aérien gouvernemental (SAG) ont même décidé de faire parvenir une lettre, le mois dernier, aux hautes instances du MTQ afin de faire part de leurs préoccupations à propos d’enjeux de sécurité tout en suggérant un changement de cap.

La missive ne favorise pas Airbus ou Bell, mais évoque plutôt les risques de détenir des modèles différents au sein de sa flotte en raison de la taille de l’effectif (12 pilotes affectés à des hélicoptères) et des « faibles opportunités d’entraînement ».

« L’entente de gré à gré […] empêche le gouvernement d’explorer des avenues qui permettraient d’acquérir des appareils répondants aux besoins opérationnels du SAG et qui augmenteraient le niveau de sécurité des vols », peut-on lire dans la lettre adressée à Elaine Raza, sous-ministre adjointe aux services gouvernementaux aérien, aéroportuaire et de l’équipement roulant, que La Presse a obtenue.

La flotte du SAG compte deux hélicoptères construits par Bell : un 206B ainsi qu’un 412EP. Un Airbus H145 d’occasion avait été acheté en 2020 – également par le truchement d’une entente de gré à gré – pour environ 13 millions. Cet appareil était destiné à remplacer un Bell 206 de la Sûreté du Québec (SQ) qui s’était écrasé dans le cadre d’une opération de recherche au Lac-Saint-Jean.

Un décret gouvernemental daté du 19 mai dernier permettait au MTQ, gestionnaire du SAG, de conclure un contrat avec Bell pour l’achat de deux hélicoptères construits dans l’usine exploitée par l’entreprise américaine à Mirabel, dans les Laurentides. La valeur de l’entente n’a pas été précisée. Il s’agirait d’appareils de la famille 412. Ces deux hélicoptères seraient destinés à la SQ, mais ce sont des pilotes du SAG que l’on retrouverait aux commandes.

Il y aurait ainsi au moins deux modèles au sein de la flotte du Service aérien gouvernemental, ce que déplorent les pilotes.

Il est inconcevable que la mission et la sécurité des équipages soient subordonnées à des considérations politiques alors que l’achat devrait reposer sur les besoins de l’organisation et la sécurité du public.

Des pilotes du Service aérien gouvernemental dans une lettre adressée à la sous-ministre adjointe Elaine Raza

Selon les pilotes, l’intégration du H145 d’Airbus a mis en évidence des « différences plus importantes qu’anticipé » dans l’exploitation d’appareils qui ne présentent pas de similarités. Dans ce contexte, s’il n’y a pas d’uniformisation, il risque « tôt ou tard » d’y avoir « erreurs critiques de pilotage ou d’exécution », particulièrement lorsque les conditions de vol seront « difficiles », préviennent les pilotes.

PHOTO TIRÉE DU SITE D’AIRBUS

Airbus H145

De plus, ils soulignent que lors de manœuvres d’hélitreuillage (remorquage par hélicoptère au moyen d’un treuil), qui s’effectuent généralement dans des endroits escarpés ou boisés, le Bell 412 n’a pas la capacité de « maintenir un vol stationnaire » si un moteur tombait en panne.

« En tant qu’organisation sérieuse, le SAG devrait doter ses équipages d’appareils ayant cette capacité », est-il souligné.

Airbus veut sa chance

Airbus a également exprimé sa surprise. Le géant européen, qui assemble l’ex-C Series de Bombardier à Mirabel, souhaite avoir l’occasion d’obtenir le contrat et voudrait voir le gouvernement Legault procéder par appel d’offres afin de pouvoir soumissionner.

Le MTQ a déjà indiqué à La Presse que les négociations avec Bell étaient toujours en cours et qu’aucune entente n’avait encore été conclue. Il n’a pas été possible de savoir si le Ministère pourrait revenir en arrière et lancer un appel d’offres.

Mais, signe que le dossier se complexifie, Bell vient de modifier son inscription au Registre des lobbyistes spécialement pour y préciser vouloir effectuer des démarches auprès du MTQ et de la SQ dans le but de « conclure les termes et dispositions » pour déterminer notamment une date de livraison ainsi que les « équipements spéciaux » nécessaires.

Airbus n’assemble pas d’hélicoptères au Québec. La division canadienne de l’avionneur est surtout présente en Ontario. À Fort Erie, la majorité de ses 250 employés s’affairent notamment à produire des composantes. Les hélicoptères du géant européen proviennent entre autres de ses installations en Allemagne, aux États-Unis, en France et au Mexique.