La décision du grand patron d'Amaya, David Baazov, de demeurer aux commandes de l'entreprise qui exploite le site PokerStars, avec l'appui du conseil d'administration et malgré le dépôt d'accusations de délit d'initiés, suscite des réactions chez les experts interrogés par La Presse.

D'autant plus que l'Autorité des marchés financiers (AMF) estime que David Baazov est à l'origine d'une fuite majeure d'informations privilégiées qui va au-delà de PokerStars et d'Amaya et qu'un danger imminent existe que des fuites se produisent à nouveau.

« Il devrait au minimum se retirer le temps des procédures car, en général, lorsque l'Autorité des marchés financiers dépose ce genre d'accusations, la preuve est bonne », commente Claude Mathieu, professeur de finance et responsable du programme de lutte contre la criminalité financière à l'Université de Sherbrooke.

Au-delà de la volonté de David Baazov de rester en poste, c'est vers le conseil d'administration qu'il faut se tourner, selon Michel Magnan, titulaire de la Chaire de gouvernance d'entreprise à l'Université Concordia.

En particulier vers l'administrateur indépendant principal chez Amaya, Dave Gadhia. « C'est là qu'on va voir de quel bois il se chauffe », dit Michel Magnan en lui souhaitant « bonne chance », sachant qu'il a déjà accordé son « appui total » à David Baazov. En plus d'être le fondateur et PDG d'Amaya, ce dernier en est aussi le président du conseil et un important actionnaire avec près de 20 % des actions.

RESPONSABILITÉ ENVERS L'ENTREPRISE

La responsabilité des administrateurs est envers l'entreprise et ils doivent se demander si maintenir le PDG en place est dans l'intérêt d'Amaya. Pour Michel Magnan, la réponse ne fait aucun doute. « C'est non. David Baazov sera pris dans une série de poursuites et d'enquêtes judiciaires. Pourra-t-il se consacrer pleinement à son travail de PDG ? »

Est-ce dans l'intérêt de l'entreprise d'avoir un PDG qui nous représente auprès des analystes et des investisseurs et qui est entaché de poursuites sérieuses ? demande Michel Magnan, tout en sachant que le conseil est mal pris car David Baazov est l'âme d'Amaya. Une situation qui lui rappelle celle d'Hollinger, cette société créée par Conrad Black qui a eu une foule d'ennuis judiciaires.

« Conrad Black, c'était Hollinger. Ce qui arrive, c'est que les membres du conseil ont tous été nommés par David Baazov. Les indépendants le sont au sens réglementaire du terme, mais tout le monde est là à cause de lui, ce qui rend leur décision d'autant plus difficile. »

- Michel Magnan, titulaire de la Chaire de gouvernance d'entreprise à l'Université Concordia

« Ils peuvent décider de le démettre de ses fonctions ou de démissionner eux-mêmes de leur fonction d'administrateur, après s'être demandé s'ils peuvent rester en place dans ces conditions-là », dit-il, soulignant qu'ils prennent un risque pour leur propre réputation en choisissant d'appuyer le PDG.

Si Amaya ne peut fonctionner sans David Baazov, c'est que les administrateurs ont mal fait leur travail, selon Michel Magnan. « Parce que c'est le genre de situation à laquelle les administrateurs doivent avoir réfléchi. Le PDG peut mourir d'une crise cardiaque ou dans un accident. Si vous n'avez pas de plan de relève, vous avez failli à la tâche. »

INVESTISSEURS INSTITUTIONNELS

David Baazov et les administrateurs d'Amaya pourraient par ailleurs subir de la pression de la part des grands investisseurs institutionnels qui ont des intérêts en jeu.

« Si les membres du conseil d'administration ont encore confiance en David Baazov, ils sont probablement les seuls. »

- Michel Magnan

Le titulaire de la Chaire de gouvernance d'entreprise à l'Université Concordia indique que les investisseurs ont rendu un certain verdict mercredi en retranchant 20 % à la valeur boursière d'Amaya le jour du dépôt des accusations.

La crédibilité de David Baazov est entachée de façon importante, croient Claude Mathieu et Michel Magnan. Si Amaya souhaite réaliser une autre acquisition ou faire une autre transaction à l'avenir, ses interlocuteurs pourront se demander s'ils peuvent révéler beaucoup de renseignements à David Baazov et à quel point lui faire confiance. « Même s'il est éventuellement reconnu innocent », croit Michel Magnan.

Pour ce qui est du projet de privatisation d'Amaya que David Baazov affirme toujours préparer, les accusations risquent de compliquer la recherche de partenaires financiers et les relations futures avec les banques.

« Le premier élément qu'un banquier regarde dans le commercial, c'est la personne afin de voir si on peut lui faire confiance. La banque n'est pas intéressée à saisir les garanties. Le banquier doit avoir la certitude que la personne sera là pour opérer », dit le professeur de Concordia.