Un ex-conjoint violent échappe au port d’un bracelet antirapprochement

Le système lui avait promis la paix d’esprit ; la voilà tourmentée, inquiète et épuisée. Une femme victime de violence conjugale dit craindre le pire parce que son présumé assaillant est en liberté sans le bracelet antirapprochement recommandé par de nombreux intervenants proches du dossier.

« Il m’a étranglée puis frappée deux semaines après mon accouchement. »

« J’avais le tympan perforé et l’oreille enflée. »

« J’avais peur de manger un coup. »

Les horreurs décrites par Élizabeth* donnent froid dans le dos. La mère de famille raconte avoir vécu des années dans l’enfer de la violence conjugale, sous le joug d’Étienne*, un mari jaloux, contrôlant et aux prises avec des problèmes de consommation. Elle se sent enfin libérée quand elle le dénonce le mois dernier, explique la victime à La Presse.

Il a été accusé de voies de fait, de harcèlement criminel et de communications harcelantes en avril.

Le contrôle exercé par son ex-conjoint débute en 2017, allègue la victime.

Le couple vit parfois séparément, sans toutefois rompre officiellement.

La Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) entre dans la vie du couple il y a quatre ans en raison du risque de négligence dû à la consommation de son mari. Ce dernier a des visites supervisées avec les enfants et suit des thérapies imposées par le tribunal de la jeunesse, mais rien n’y fait.

Son problème d’alcool ne s’améliore pas et les violences persistent. Quand on lui impose des conditions durant les moments où le couple est séparé, Étienne ne les respecte pas toujours, selon la victime.

Maisons d’hébergement – où elle a séjourné plus d’une fois –, intervenantes, réseau de la santé : chacun des paliers d’intervention recommandait le port du bracelet antirapprochement lorsque l’accusé a été arrêté.

Élizabeth s’explique mal pourquoi, dans ce contexte explosif, le tribunal a décidé qu’il n’en avait pas besoin, dit-elle.

Comment espérer que quelqu’un qui l’a déjà suivie, qui a fait irruption dans son domicile alors que le Tribunal de la jeunesse le lui interdisait et qui a menacé dans le passé de mettre le feu à la maison respecte ses conditions sans dispositif de surveillance ? se demande-t-elle.

Libéré sans bracelet

Étienne est brièvement détenu début avril en attente de sa comparution après la plainte d’Élizabeth à la police. Elle décide alors de rompre. Pour de bon. En vue de la libération sous conditions de son ex-conjoint, la procureure au dossier appelle Élizabeth. Elle l’avise que le bracelet sera mis en place. Ce n’est qu’une question de formalité.

J’ai dit : “Oui, je veux le bracelet.” J’avais réalisé l’ampleur [de sa colère] et j’avais peur.

Élizabeth

Deux jours plus tard, une agente de probation la contacte. On lui demande toutes les adresses : résidence principale, garderie, école. Des informations servant à configurer l’outil de géolocalisation. « Je sens que ça va être mis en vigueur, donc j’annule ma demande en hébergement », ajoute-t-elle. Elle se sent alors soulagée de ne pas avoir à quitter sa maison avec ses enfants. Le tout dans un contexte où les refuges pour femmes violentées sont pleins à craquer.

PHOTO ERICK LABBÉ, ARCHIVES LE SOLEIL

Les bracelets antirapprochements sont utilisés notamment dans les contextes de violence conjugale.

Le week-end passe. Puis le lundi, la déception : « Le bracelet, ça n’a pas fonctionné », lui dit MJade Desnoyers-Latendresse au téléphone, selon la version de la victime.

Durant leur conversation, la procureure lui indique que le bracelet ne sera pas implanté en raison de l’emploi qu’occupe Étienne, relate Élizabeth. Étienne est un prolifique vendeur qui doit souvent voyager pour le travail. On le soumet à un couvre-feu et à des interdictions de communication, selon les documents judiciaires.

Élizabeth, elle, se sent comme une moins que rien, résume-t-elle. « Le système privilégie son travail au lieu de mon sentiment de sécurité. Sa job est plus importante que ma sécurité. »

Étienne occupe un emploi qui nécessite beaucoup de déplacements, indique la victime.

C’est le service de probation qui détermine si le bracelet antirapprochement peut être utilisé, nous explique la procureure, MJade Desnoyers-Latendresse. « Mais la décision est prise par le DPCP en fonction du résultat de l’analyse de faisabilité et d’une analyse de la situation personnelle de l’accusé et de la personne victime afin de déterminer s’il s’agit d’une condition qui peut être imposée », a-t-elle précisé à La Presse par courriel.

Elle n’a pas détaillé les motifs concernant la décision de ne pas installer de bracelet, puisque l’information n’est pas publique au dossier de la cour.

« Dans la très grande majorité des cas, la décision d’ordonner ou non la mesure de bracelet antirapprochement appartient aux tribunaux. Les Services correctionnels du ministère de la Sécurité publique, quant à eux, administrent ces décisions », a répliqué le ministère de la Sécurité publique, qui chapeaute les services correctionnels. Durant les procédures judiciaires, il appartient au juge de statuer sur le recours au bracelet antirapprochement, ajoute-t-on.

Conditions non respectées

Nous rencontrons Élizabeth le 23 avril dernier, dans sa maison à la décoration champêtre digne de Pinterest dans un secteur cossu d’une banlieue de Montréal.

Elle verbalise alors ses appréhensions : il n’y a aucune garantie que son ex-partenaire respecte ses conditions. « Il n’a jamais respecté les conditions de la DPJ. »

Ses craintes s’avèrent fondées. La semaine suivant notre entrevue, Étienne la contacte par courriel, nous indique-t-elle. Le non-respect d’une condition s’ajoute à son dossier le 30 avril. Toujours pas de bracelet.

Parce que lui a une job, moi, je passe dans le filet.

Élizabeth

Il a fallu des années à Élizabeth pour se sortir d’une situation violente et traumatisante. Elle se retrouve maintenant avec le fardeau d’assurer sa propre sécurité.

Elle est actuellement en attente d’une réponse de l’Indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) pour obtenir les fonds afin d’installer un système de surveillance chez elle. « C’est moi qui cours pour me protéger. »

Le gouvernement a voulu agir en prévention face aux nombreux féminicides secouant la province, soutient Élizabeth. « Mais là, c’est le système qui me laisse tomber. Avoir su, je serais allée en maison d’hébergement. On va attendre qu’il fasse quoi d’autre ? », se demande la victime.

*Prénoms fictifs