(Québec) Québec vise à élargir l’accès à l’aide médicale à mourir non seulement aux personnes souffrant de maladies graves et incurables, comme l’alzheimer, mais aussi à celles aux prises avec « un handicap neuromoteur ». Il entend obliger désormais les maisons de soins palliatifs à offrir ce soin ultime.

La ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger, qui est la nouvelle responsable du dossier, a présenté jeudi le projet de loi 11, qui reprend essentiellement le projet de loi 38, mort au feuilleton au terme de la dernière législature.

« C’est une journée vraiment importante […] pour l’ensemble de la société », s’est réjouie la ministre Somia Bélanger, qui a été élue en octobre dernier. Il s’agit de son premier projet de loi.

« Je suis infirmière de profession et j’ai toujours été guidée par le désir d’offrir les meilleurs soins, avec beaucoup d’empathie et de respect. L’aide médicale à mourir, c’est justement ça : de l’empathie et du respect », a ajouté Mme Bélanger, ex-PDG du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.

La ministre s’est d’ailleurs montrée émotive à quelques reprises lors de la présentation du projet de loi aux journalistes, jeudi. Elle était accompagnée de la députée caquiste Nancy Guillemette, qui a présidé la commission spéciale transpartisane sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie.

Québec veut permettre aux personnes souffrant d’une maladie grave et incurable, comme l’alzheimer, de faire une demande anticipée d’aide médicale à mourir. Il s’agit d’un enjeu qui fait largement consensus à l’Assemblée nationale et dans la société. La cause a notamment été portée par Sandra Demontigny, qui est atteinte d’une forme précoce et héréditaire de la maladie d’Alzheimer.

« Ça me réjouit, je suis contente même si je me garde une petite réserve », a réagi Mme Demontigny, faisait référence à l’abandon de l’étude du projet de loi en juin dernier.

Disons que si ça va de l’avant, moi, ce que ça va me donner, c’est une tranquillité d’esprit […] Je vais la faire, la demande [anticipée], et je vais être libérée de ça.

Sandra Demontigny, qui a milité en faveur des demandes anticipées

PHOTO ISABELLE LÉGARÉ, LE NOUVELLISTE

Sandra Demontingny, atteinte d’alzheimer précoce

Notion de « handicap neuromoteur »

Dans sa nouvelle mouture, le gouvernement Legault réintroduit les articles visant à rendre admissibles à l’aide médicale à mourir les personnes atteintes d’un « handicap neuromoteur grave et incurable ».

Ces articles avaient été retirés du projet de loi piloté par le ministre de la Santé et des Services sociaux Christian Dubé, au printemps dernier, afin d’accélérer l’adoption du texte législatif. C’est un enjeu qui n’avait pas fait l’objet de débats au Québec et les partis de l’opposition avaient alors accusé le ministre Christian Dubé d’avoir sorti « un lapin de son sac » à deux semaines de la fin de la législature.

Il s’agissait notamment d’une demande du Collège des médecins, qui voulait profiter de l’ouverture de la Loi concernant les soins de vie pour l’harmoniser à la législation fédérale.

La ministre Sonia Bélanger a bien pris soin de souligner jeudi que les parlementaires disposeraient de tout le temps nécessaire pour étudier le texte législatif et consulter les experts. Elle n’a pas voulu s’aventurer sur une liste de troubles et de maladies qui pourraient être admissibles.

« Chaque situation est unique. On ne peut pas généraliser, mais certainement qu’on va baliser, mais on ne peut pas généraliser. C’est vraiment trop tôt pour moi de m’avancer aujourd’hui », a-t-elle expliqué, rappelant les critères existants, soit un « déclin avancé et irréversible » et la présence de souffrances « physiques et psychiques, constantes et insupportables ».

L’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité se réjouit de son côté de l’ajout de la notion de handicap. « C’est une demande qu’on a depuis le début. Ça aurait dû être fait en 2016 quand le gouvernement fédéral a fait sa loi », a indiqué le président, le DGeorges L’Espérance. « Pour nous, ça ne pose pas problème […] parce qu’un handicap, ça vient d’une maladie », a-t-il précisé.

Obligation pour les maisons de soins palliatifs

Le projet de loi 11 va plus loin que sa version précédente en obligeant désormais les maisons de soins palliatifs à offrir l’aide médicale à mourir en ses murs. « Une maison de soins palliatifs ne peut exclure l’aide médicale à mourir des soins qu’elle offre », écrit-on. Dans la version initiale, le texte législatif prévoyait certaines exceptions, ce qui n’est plus le cas dans le nouveau texte.

Mme Bélanger a relaté avec émotion les cas qui lui ont été rapportés de patients de maisons de soins palliatifs qui ont dû être transportés en ambulance vers un centre hospitalier, dans les derniers moments de leur vie, pour recevoir l’aide médicale à mourir.

L’Alliance des maisons de soins palliatifs du Québec, qui réclamait au printemps dernier l’abolition de l’article les visant, rétorque que Québec doit « respecter le rythme » des maisons de soins palliatifs.

« Les maisons sont des écosystèmes qui sont fragiles, qui ont leur réalité propre, il y a une évolution certaine, […] celles qui n’offrent pas le soin, ce n’est pas une question d’être pour ou contre, c’est une question d’enjeux qu’il est impératif de respecter », a expliqué la présidente, Diane Langlois.

Selon l’Alliance, sur 35 maisons de soins palliatifs, 25 offrent l’aide médicale à mourir. Quatre résidences sont en voie de l’ajouter, tandis qu’une autre poursuit sa réflexion, a précisé Mme Langlois.

Pas question de santé mentale

Comme dans la dernière mouture, le projet de loi 11 rejette tout élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant d’un trouble mental. Il s’agissait aussi d’une recommandation de la commission spéciale transpartisane, dont le rapport final a été déposé en décembre 2021.

« On a clairement ressenti que le trouble mental et l’aide médicale à mourir ne font pas consensus », a souligné Mme Bélanger, qui a indiqué avoir consulté différents groupes d’experts sur la question. Elle ne ferme pas la porte pour l’avenir. « Ça nous semblait précipité de faire ça aujourd’hui », a-t-elle ajouté.

Au printemps dernier, le Collège des médecins avait demandé à Québec d’accélérer sa réflexion sur la maladie mentale. Jeudi, l’ordre professionnel a assuré qu’il allait continuer « de faire valoir les droits des personnes souffrant de troubles de santé mentale ».

Le projet de loi 11 fait aussi tomber le critère de fin de vie imminente parmi les conditions auxquelles une personne doit satisfaire pour obtenir l’aide médicale à mourir.

On permet également aux infirmières praticiennes spécialisées d’un établissement public d’administrer l’aide médicale à mourir. Elles pourraient aussi les habiliter à constater un décès. Il s’agit d’une pratique qui avait été exceptionnellement permise pendant la pandémie. Québec souhaite ainsi la pérenniser dans le but de décloisonner les professions.

Ce qu’ils ont dit :

Je pense que le Québec est prêt, c’est un pas important […] Si ma mère avait eu cette possibilité, je crois qu’elle l’aurait signée [sa demande anticipée]. Si j’ai cette possibilité dans les prochaines années de le signer, je le ferais aussi.

François Bonnardel, ministre de la Sécurité publique, dont la mère souffrait d’alzheimer

On avait vu qu’il y avait des zones d’ombre lors du dépôt de la première mouture de cette nouvelle loi. Alors, je pense que c’est important de bien faire un travail consciencieusement, savoir que les termes sont compris, sont appliqués de façon uniforme et que les gens ont accès, ultimement, aux soins, ça, c’est important.

Marc Tanguay, chef intérimaire du Parti libéral du Québec

Enfin, nous allons pouvoir mener cette réforme importante sans tourner les coins rond. L’aide médicale à mourir est le fruit d’un large consensus et d’un travail transpartisan, il faut continuer dans cet esprit de collaboration. Quant à l’inclusion des personnes ayant un handicap neuromoteur, cet ajout dépasse le consensus initial. On ne ferme aucune porte, mais ça prendra des consultations fermes.

Vincent Marissal, porte-parole en matière de santé de Québec solidaire

La définition, par exemple, de maladie mentale ou même de handicap dans l’opinion fédérale, actuellement, est sujette à discussion et à interprétation aussi. Donc, c’est là où je pense qu’il y a encore du travail à faire, parce qu’il faut se permettre d’encadrer ça de façon beaucoup plus précise.

Joël Arseneau, porte-parole en matière de santé pour le Parti québécois

Lisez l’entrevue de Patrick Lagacé avec la ministre Sonia Bélanger