Les urgences de l’hôpital seront ouvertes cette nuit, et les prochaines, assure le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.

(Montréal et Québec) Le ministre de la Santé Christian Dubé a nommé une conciliatrice pour dénouer la crise qui secoue les urgences de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR), où une centaine d’infirmières menaçaient de démissionner. Dans l’espoir de calmer la grogne, la cheffe des urgences sera réaffectée à un autre service et les ambulances, détournées pour réduire le volume.

Pour faire face à la crise dans ses urgences, HMR veut diminuer le volume d’ambulances et de patients pour tenter de donner un répit aux infirmières à bout de souffle, a indiqué le PDG du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal en point de presse mardi.

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La veille, les infirmières du quart de soir ont refusé un plan de contingence imposé par la gestion de l’hôpital qui voulait les faire travailler en équipe réduite. Ce plan, à leur sens, mettait la santé et la sécurité des patients en danger.

« La première chose, c’est qu’on va avoir un appui de la part du réseau de la santé pour diminuer le nombre d’ambulances reçues à HMR à l’urgence, a affirmé en point de presse mardi midi Jean-François Fortin-Verreault, président-directeur général du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Ça va donner de l’air aux équipes, espère-t-il, et c’est la première étape. Il faut commencer à avoir un peu moins de volume, avoir un équilibre travail-famille. »

Une conciliatrice externe a aussi été nommée pour tenter de dénouer l’impasse qui lie les employées de l’urgence de HMR et la direction, a rapporté le ministre de la Santé Christian Dubé lors d’un autre point de presse. « On est conscient d’une situation très difficile, mais je suis content d’entendre qu’il y a des solutions sur la table, a soutenu M. Dubé. Pour appuyer M. Fortin et les employés, on a convenu d’amener une personne externe à la situation, pour continuer d’essayer de trouver des solutions. »

La question de l’important volume de patients traités à l’urgence de HMR a aussi été abordée à M. Dubé et M. Fortin Verreault. « Il faut juste rappeler qu’à HMR, historiquement, par rapport à la position géographique de l’hôpital, on recevait une proportion plus grande d’ambulances », a illustré le PDG. Par exemple, HMR recevrait 45 ambulances par jour, pour 35 à l’Hôpital général juif, qui a pourtant 100 lits de plus.

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Jean-François Fortin-Verreault, PDG du CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.

Rappelons que lundi, les infirmières du quart de soir ont refusé un plan de contingence imposé par la gestion de l’hôpital qui voulait les faire travailler en équipe réduite. Ce plan, à leur sens, mettait la santé et la sécurité des patients en danger. Elles ont fait ce qu’on appelle dans le jargon syndical un sit-in, qui se tient habituellement entre deux quarts de travail pour manifester contre les conditions imposées.

Les infirmières du quart de jour ont dû poursuivre leur travail jusqu’à minuit, tandis que le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal a demandé à la population d’éviter l’urgence de 23 h à 8 h, en plus de détourner les ambulances vers d’autres hôpitaux.

En fin d’après-midi mardi, 12 infirmières sur 24 manquent toujours à l’appel pour effectuer le quart de travail du soir, selon Denis Cloutier, président du Syndicat des professionnelles en soins de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.

Cette situation a toutefois été réglée à l’interne, a assuré Christian Merciari, relationniste pour le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, en fin de journée. Les urgences vont demeurer ouvertes à la population 24/7, a-t-il précisé.

La gestionnaire problématique tassée

Une centaine d’infirmières des urgences menacent par ailleurs de démissionner mercredi si la cheffe de leur unité n’est pas remplacée.

Lisez « Hôpital Maisonneuve-Rosemont : la population invitée à éviter les urgences »

À ce sujet, le PDG a soutenu mardi que cette gestionnaire ne travaillerait plus directement avec les équipes de l’urgence, tout en maintenant ne pas vouloir « personnaliser le débat ».

« La personne en question n’est pas responsable du fait qu’on reçoit plus de patients que notre capacité, a soutenu M. Fortin-Verreault. Mais c’est certain que la relation avec l’équipe n’est pas là, donc on va réutiliser la personne, mais pas en relation directe avec l’équipe. »

Le PDG a aussi affirmé avoir parlé avec les infirmières pendant environ 1 h 30 lundi soir, et que d’autres rencontres sont à l’ordre du jour plus tard mardi.

Quant à la situation vécue lundi soir, où les infirmières ont été placées devant un plan de contingence qu’elles jugeaient inacceptable pour éviter le temps supplémentaire obligatoire, M. Fortin-Verreault reconnaît qu’elles seront désormais consultées à ce sujet. « Ce qu’on va faire, elles sont d’accord qu’il faut appliquer une réorganisation avant les TSO, et elles sont d’accord qu’il faut le co-construire. C’est ce qu’on va faire d’ici quelques minutes. »

Une fermeture « prévisible »

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Christian Dubé

« C’était hautement prévisible ! L’hôpital Maisonneuve-Rosemont, c’est un volcan actif et ça fait des années qu’on voit de la fumée. Si Christian Dubé ne l’a pas vue, c’est qu’il ne voulait pas la voir », a illustré Vincent Marissal, porte-parole pour Québec solidaire en matière de santé et député de la circonscription, en mêlée de presse devant l’hôpital mardi. « La question ce n’était pas s’il y allait avoir une éruption, mais bien quand ».

Le porte-parole affirme aussi que le ministre Dubé parle « des deux côtés de la bouche » en disant vouloir revitaliser le réseau de la santé, tout en annonçant d’autre part des investissements dans des cliniques et mini-hôpitaux privés. « Évidemment, si vous avez le choix entre travailler ici ou dans une nouvelle clinique neuve et privée, évidemment vous allez aller vers le privé », a-t-il dénoncé.

Le Parti libéral du Québec reproche aussi à M. Dubé de ne pas avoir agi avant dans le cas des urgences de Maisonneuve-Rosemont.

« La fermeture de l’urgence de Maisonneuve-Rosemont était prévisible depuis des mois et est une autre démonstration de l’inefficacité de la CAQ. Pourtant, le ministre Dubé a refusé d’entendre l’appel à l’aide des infirmières et d’agir avant que la crise n’éclate. Le résultat de toute cette incompétence est, selon les infirmières elles-mêmes, la mise en danger de la vie des patients », a déploré le libéral André Fortin.

La Presse rapportait en décembre le cri du cœur de neuf infirmières et infirmières auxiliaires qui dénonçaient à visage découvert diverses « manigances » des gestionnaires pour les forcer à rester au travail et la hausse du recours au temps supplémentaire obligatoire (TSO).

Un peu plus tôt la semaine dernière, le syndicat affirmait d’ailleurs qu’un « triste record » de TSO avait été franchi aux urgences.

Une situation « rouge sang »

« La situation n’est pas rose partout, mais il y a des endroits où la situation est rouge sang, estime Pierre-David Gagné, un infirmier du bloc opératoire du même hôpital. Et c’est le cas à HMR, poursuit-il. Il faut arrêter de penser qu’on peut faire faire aux infirmières tout ce qu’on ne veut pas faire. »

Des infirmières rencontrées devant l’hôpital mardi matin soutiennent que la situation aux urgences de HMR n’est « pas vivable ».

« Quand j’ai été embauchée à l’hôpital en 2007, on me disait déjà : ne va jamais à l’urgence, parce qu’il y a du TSO », raconte l’une d’elles, qui a préféré ne pas se nommer. « Les personnes à l’urgence voient que la situation s’empire, renchérit sa collègue. C’est un cercle vicieux. »

« Je suis très content que les infirmières aient tenu leur bout parce que défendre la qualité des soins, c’est important, ajoute M. Gagné, parce que les conditions qu’on voulait leur imposer étaient inhumaines »

Les infirmières sont responsables de la qualité des soins qu’elles offrent, ajoute M. Gagné. « Quand il va y avoir un décès, la personne facile à dénoncer, c’est l’infirmière. La personne qui va sortir de son quart de travail, elle va avoir l’impression d’avoir mis des vies en danger, et c’est ce que les infirmières de Maisonneuve-Rosemont ont défendu. »

Pas une situation isolée, selon des syndicats

Cette crise survient au même moment où les infirmières des urgences de l’Hôpital de Jonquière, au Saguenay, ont refusé de travailler pendant une quinzaine de minutes pour manifester contre leurs conditions de travail. Selon Radio-Canada, elles réclament qu’un inspecteur de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) visite les lieux.

« C’est tellement rendu monnaie courante, le manque de personnel et les sit-in à gauche et à droite, que je ne sais même plus si on les comptabilise », rétorque de son côté la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) de la Montérégie-Ouest, Mélanie Gignac. Son territoire couvre notamment les hôpitaux Anna-Laberge et du Suroît.

Des sit-in ont eu lieu le 26 décembre à Anna-Laberge et le 6 janvier au Suroît. En Montérégie-Ouest, la FIQ soutient que le recours au temps supplémentaire obligatoire (TSO), qui fait l’objet de discorde à HMR, est aussi fréquent. « Le TSO, il faut faire attention, c’est déguisé. Si les gens décidaient de ne pas prendre de temps supplémentaire pour aider, ça finirait en TSO. […] Les vrais chiffres sont cachés par le [temps supplémentaire] », dit-elle.

Il faut savoir que lorsqu’une entente survient entre un employé et un supérieur, il ne s’agit plus de TSO, mais plutôt de temps supplémentaire (TS) volontaire.

Les infirmières de l’hôpital Cité-de-la-Santé, à Laval, ont d’ailleurs fait parvenir une lettre à celles de HMR pour les soutenir, et que La Presse a pu consulter. « [Nous] tenons à vous témoigner notre respect et notre support dans l’épreuve que vous traversez depuis déjà plusieurs mois, peut-on y lire. Il est primordial que nous fassions front commun face à l’adversité et c’est pourquoi nous sommes de tout cœur avec vous. »

« Il y a une culture de gestion qui est malsaine à la grandeur du Québec dans le système de santé. Une culture autoritaire, une culture, franchement, de mépris, souvent pour les soignantes sur le plancher », a déploré en entrevue à La Presse le chef parlementaire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois. Ce dernier presse le ministre Christian Dubé d’agir rapidement à Maisonneuve-Rosemont.

« C’est invivable, la situation est critique. Les slogans motivateurs de Christian Dubé, ça ne suffit plus. Il faut une intervention musclée de sa part pour corriger la situation parce que c’est un hôpital important pour tout l’est de Montréal. On ne peut pas se permettre que ça dérape comme ça », a-t-il fait valoir.

Avec Hugo Pilon-Larose, La Presse