Le Québec a l’un des programmes les moins généreux au Canada quand vient le temps de rembourser l’achat d’un « œil artificiel ». Une façon de faire qui nuit aux personnes ayant besoin d’une prothèse oculaire pour vivre une vie plus normale.

« On a un des pires programmes au Canada », s’exclame l’oculariste Jean-François Durette. Pour une prothèse oculaire sur mesure, le gouvernement du Québec offre une aide financière de 585 $, une fois tous les cinq ans. Or, cette somme n’a pas été indexée depuis plus de 30 ans. Elle couvre à peine 20 % du coût de la prothèse, qui peut s’élever à plus de 2900 $.

Pour les personnes qui ont perdu un œil à la suite d’une maladie ou d’un accident, la prothèse a uniquement une fonction esthétique, elle n’aide pas à retrouver la vue. « Ça leur permet de passer inaperçus, d’arrêter de se faire poser des questions », dit M. Durette. « Certaines personnes nous disent que ça leur redonne la vie », renchérit l’oculariste Louise Boucher.

L’art derrière les prothèses oculaires
  • Des pinceaux et des crayons sont étalés sur la table de travail. Ici, à la clinique de Jean-François Durette et de Louise Boucher, on ne peint pas des toiles, mais bien des yeux artificiels sur mesure.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Des pinceaux et des crayons sont étalés sur la table de travail. Ici, à la clinique de Jean-François Durette et de Louise Boucher, on ne peint pas des toiles, mais bien des yeux artificiels sur mesure.

  • Jean-François Durette sélectionne l’iris qui correspond le mieux à celui de son client, parmi une centaine de choix de couleur. « Je choisis la couleur de base et j’ajoute les détails ensuite », explique M. Durette. Louise Boucher, elle, préfère peindre l’iris directement sur un disque noir. « Je peins devant le client. Il faut quand même avoir un certain talent artistique », dit Mme Boucher en souriant.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    Jean-François Durette sélectionne l’iris qui correspond le mieux à celui de son client, parmi une centaine de choix de couleur. « Je choisis la couleur de base et j’ajoute les détails ensuite », explique M. Durette. Louise Boucher, elle, préfère peindre l’iris directement sur un disque noir. « Je peins devant le client. Il faut quand même avoir un certain talent artistique », dit Mme Boucher en souriant.

  • L’oculariste prend une empreinte de l’orbite du patient. Ensuite, il dépose l’iris dans un moule, qu’il recouvre d’une pâte d’acrylique blanc. Cette pièce sera cuite et polie pendant une dizaine de minutes.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    L’oculariste prend une empreinte de l’orbite du patient. Ensuite, il dépose l’iris dans un moule, qu’il recouvre d’une pâte d’acrylique blanc. Cette pièce sera cuite et polie pendant une dizaine de minutes.

  • C’est maintenant le temps de compléter l’iris. Les détails sont tracés avec des crayons de couleur et de la peinture, tandis que des fils de coton à broder rouges sont utilisés pour reproduire les petites veines. L’œil est ensuite recouvert d’acrylique pour sceller la peinture.

    PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

    C’est maintenant le temps de compléter l’iris. Les détails sont tracés avec des crayons de couleur et de la peinture, tandis que des fils de coton à broder rouges sont utilisés pour reproduire les petites veines. L’œil est ensuite recouvert d’acrylique pour sceller la peinture.

  • La prothèse oculaire est maintenant terminée. Le client pourra la conserver environ cinq ans.

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    La prothèse oculaire est maintenant terminée. Le client pourra la conserver environ cinq ans.

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Depuis les années 1990, seules les personnes prestataires d’une aide financière de dernier recours, comme les victimes d’actes criminels, les prestataires de l’aide sociale ou les personnes accidentées au travail, sont couvertes à 100 %. Pour le reste de la population à faible revenu, la facture est parfois salée. Même trop salée.

Il y a des personnes qui ont une prothèse désuète et qui ne peuvent pas se permettre de la renouveler.

Jean-François Durette, oculariste

Au fil des ans, la cavité orbitaire évolue et la prothèse doit être changée. « Les muscles attachés à l’œil ne sont plus entraînés, donc ils peuvent perdre de la force et l’œil peut dévier d’un côté ou de l’autre », explique-t-il.

Dans les cinq dernières années, 1945 Québécois ont bénéficié de l’aide gouvernementale, selon les données de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) obtenues par La Presse. La majorité d’entre eux ont obtenu le maximum de 585 $.

À titre de comparaison, la Colombie-Britannique rembourse 3000 $ tous les trois ans pour une prothèse oculaire. L’Ontario rembourse 75 % des coûts.

Les ocularistes Jean-François Durette et Louise Boucher souhaitent que la RAMQ couvre également 75 % des frais. « C’était ça à l’époque, avant 1991 », se remémore M. Durette, qui œuvre dans le domaine depuis une quarantaine d’années.

« C’est crève-cœur »

L’été dernier, Madelyne Rivest, fondatrice du groupe Facebook « Regroupement des personnes ayant une prothèse oculaire du Québec », a dû mettre sur pied une campagne de sociofinancement afin de permettre à une dame âgée de se payer une prothèse oculaire.

Ce n’est pas un cas unique. Les ocularistes rencontrent fréquemment des clients qui peinent à payer leur futur œil. « On rencontre des personnes qui ont besoin d’une nouvelle prothèse, mais ils nous demandent d’attendre à cause des coûts. C’est crève-cœur », dit Mme Boucher.

Madelyne Rivest déplore que certaines personnes n’aient pas les moyens de s’acheter « un regard ». Elle sait à quel point c’est important, puisqu’elle-même porte une prothèse oculaire depuis deux ans et demi, après avoir perdu son œil à cause de décollements de rétine répétés et de crises de glaucome aiguës. « Ça me permet de travailler avec le public et de savoir que je ne me ferai pas dévisager », dit-elle.

Catherine Pineau, qui porte une prothèse oculaire depuis l’âge de 1 an, en témoigne aussi. « J’ai eu une belle adolescence, je suis allée à l’université, j’ai eu une belle carrière, j’ai été présidente de classe, j’ai joué au soccer, raconte-t-elle. J’ai eu une vie normale, ce que je n’aurais probablement pas eu sans prothèse. »

Au Québec, seulement six cliniques sont spécialisées dans la fabrication de ces prothèses oculaires, indique M. Durette. L’homme de 72 ans compte prendre sa retraite dans les prochaines années, mais la relève se fait rare. « Tout ce que j’ai développé comme technique, je ne veux pas que ça tombe à l’eau, dit-il. J’aimerais le passer à quelqu’un. »