Le Parti libéral du Québec doit se reconstruire. Après une défaite écrasante au dernier scrutin, l’opposition officielle se cherche un nouveau chef, mais aussi une raison d’être. Que veut dire être libéral en 2023 ? À l’image des 12 travaux d’Astérix, La Presse a sondé le parti pour qu’il cible 12 épreuves à surmonter afin de se relever.

#1 – Revisiter les « grandes valeurs »

Le chef par intérim du Parti libéral du Québec (PLQ), Marc Tanguay, en est convaincu : les valeurs du parti doivent être le « ciment du projet » de sa relance. « Le parti a 155 ans. Ce n’est pas parce qu’on a été très chanceux pendant 155 ans. C’est parce qu’on avait des valeurs qui collaient à la réalité québécoise », dit-il. Mais la liste de ces valeurs est longue et souvent universelle. Libertés individuelles, développement économique, justice sociale, identification au Québec, protection de l’environnement, équité intergénérationnelle… M. Tanguay propose de les prendre une par une et de les associer à des propositions concrètes. De toutes ces valeurs, l’ex-ministre Christine St-Pierre croit qu’il faut se concentrer sur deux principes fondateurs : l’économie et les libertés. « Il faut même accentuer le focus sur l’économie », ajoute-t-elle.

#2 – Renouveler la base militante

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Rafaël Primeau-Ferraro, président du PLQ

L’ancien président de la commission politique libérale, Jérôme Turcotte, sonne l’alarme. Selon lui, les « signaux de délabrement » de la base militante étaient frappants il y a cinq ans, et la situation ne s’est pas améliorée. « C’est tout un chantier. La base militante est en chute libre [et] la machine libérale n’existe plus », dit celui qui insiste pour que le parti fasse un important travail d’introspection. Le président du PLQ, Rafaël Primeau-Ferraro, affirme qu’il y a présentement 20 000 membres au parti. Ils étaient légèrement moins nombreux avant les dernières élections. « Mais la santé d’un parti politique ne se mesure pas qu’à la hauteur de son membership, dit-il. Elle se traduit aussi par sa mobilisation, dans ses instances et dans les évènements qu’il organise. » M. Primeau-Ferraro promet des débats d’idées au cours de l’année 2023.

#3 – Oser débattre

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jérôme Turcotte, ex-président de la commission politique du PLQ

Jérôme Turcotte estime qu’il faut « réapprendre à avoir des débats d’idées au Parti libéral ». Selon lui, la « culture d’unité » qui a souvent caractérisé ce parti – réputé pour ne pas laver son linge sale en public – s’est transformée en une culture d’uniformité et de conformité. « Parce qu’on a été un parti de gouvernement tellement longtemps, on a acquis une compréhension profonde que le fait d’être en porte-à-faux avec l’aile parlementaire donnait beaucoup de gaz à la controverse médiatique. Mais avoir des points de vue contradictoires permet de redéfinir nos positions. [Ne pas le faire] mine le militantisme », estime-t-il. Selon M. Turcotte, débattre est un ingrédient essentiel au renouvellement des membres pour que le parti évite de s’engager sur la voie de la « marginalisation durable ».

#4 – Sortir de Montréal

PHOTO DIDIER DEBUSSCHERE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Ronald Poupart

Plus que jamais, le Parti libéral est associé à Montréal, où se concentre l’écrasante majorité de son caucus parlementaire. Mais il faudra bien sortir de la métropole si l’opposition officielle souhaite reconquérir l’électorat des régions. Ronald Poupart, qui a conseillé d’anciens premiers ministres et qui milite pour le parti depuis les années 1960, souhaite que le PLQ s’engage sur la voie d’un congrès d’orientations pour revoir ses positions politiques. Ce congrès, qui pourrait se tenir à l’extérieur des grands centres, devrait être précédé d’une série de consultations auprès des associations militantes régionales, soutient-il. « On ne peut pas continuer à tout centraliser à Québec, Montréal et Gatineau et à laisser les régions sans aide ni appui. On va aller nulle part avec ça », prévient M. Poupart.

#5 – Passer le flambeau

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Christine St-Pierre

Dominique Anglade partie, les libéraux devront se choisir un nouveau chef. Si certains – comme Ronald Poupart – souhaitent que le parti se donne d’abord le temps de définir ses orientations politiques, d’autres estiment qu’il ne faut pas tarder à choisir le prochain vis-à-vis du premier ministre François Legault. « Il y a énormément de travail à faire et ça passe vite, quatre ans », rappelle Christine St-Pierre. L’ancienne députée souhaite que le prochain chef ajoute des émotions à ses propositions politiques, pour que les gens se sentent happés par ce qu’il met sur la table. « Jean Charest, avec son Plan Nord, il captait l’émotion des gens. Ça va nous prendre une personne qui a du charisme et qui arrive à attirer vers elle toutes les générations », affirme-t-elle.

#6 – Se lancer dans les enjeux d’identité

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation en faveur de la loi 101 et contre « l’anglicisation constante de Montréal », l'été dernier

Le Parti libéral a difficilement navigué ces dernières années sur les enjeux identitaires, comme la laïcité et la protection du français. Selon le chef par intérim, Marc Tanguay, c’est d’abord et avant tout « un défi de communication ». En matière de protection du français, par exemple, les libéraux préfèrent améliorer la qualité du français enseigné au primaire ou au secondaire, où la loi 101 s’applique, plutôt que d’imposer des restrictions au cégep. Selon Jérôme Turcotte, le PLQ doit aller plus loin pour reconnecter avec l’électorat francophone, sans renier ses valeurs. « Si, aux yeux de l’électorat, le Parti libéral est le parti des minorités, des anglophones et des Montréalais, ça ne sert à rien et on perd notre temps. Il faut reconquérir l’écoute des gens et que les Québécois s’identifient à notre offre politique », dit celui qui souhaite que les enjeux d’identité soient traités avec autant d’intérêt que les questions économiques.

#7 – Canadiens, oui, mais Québécois d’abord

L’ancien président de la commission politique libérale Jérôme Turcotte souhaite que son parti dépoussière la politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes Québécois, notre façon d’être Canadiens, qui avait rapidement été tablettée par le gouvernement de Philippe Couillard. « L’indépendance n’est plus à l’ordre du jour. Il faut retrouver une posture où on est capable d’avoir des revendications claires, fermes, et faire front commun avec les autres partis sur des enjeux comme les transferts fédéraux en santé ou sur la question d’avoir plus de pouvoirs en immigration », dit-il. « Le défi du Parti libéral, c’est d’être le trait d’union qui est capable de dire à la fois qu’il faut mieux défendre la langue française avec des mesures robustes et qu’il y a du racisme systémique au Québec. On peut faire les deux », affirme M. Turcotte.

#8 – Parler de… souveraineté !

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien à Ottawa, défendant en Chambre, cet automne, la loi C-18 qui encadre les activités liées au partage des nouvelles d’actualités par les géants du web, comme Facebook.

Jérôme Turcotte estime que l’une des plus grandes menaces qui pèsent sur la langue française au Québec est l’hégémonie grandissante des géants numériques du web (comme Netflix et les autres plateformes de diffusion de contenus) dans la vie des Québécois. À ce titre, le militant libéral se désole que l’enjeu soit principalement débattu à Ottawa. « Il fut un temps où, au Québec, on avait une revendication claire en matière de souveraineté culturelle. C’était l’idée même de [l’ancien premier ministre libéral] Robert Bourassa », dit M. Turcotte. Selon lui, le gouvernement de la CAQ « dort au gaz sur les revendications fonctionnelles qui permettent d’élargir le champ d’action du Québec dans le cadre constitutionnel actuel ». Le PLQ doit se réapproprier ce genre d’enjeux, dit-il, et éviter de les considérer comme ne faisant pas partie des « vraies affaires ».

#9 – Faire un pas vers le centre 

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Jérôme Turcotte, ex-président de la commission politique du PLQ

M. Turcotte estime que « l’une des menaces les plus profondes qui pèsent sur le Parti libéral, c’est de passer d’un parti qui aime gagner à un parti qui veut avoir raison ». Sur les deux axes qui définissent la politique québécoise (gauche-droite/fédéraliste-souverainiste), la CAQ est le seul parti qui occupe, selon lui, « l’immense espace » pour une formation politique qui n’est ni trop indépendantiste ni trop fédéraliste, ni trop à droite ni trop à gauche. « Là, on est quatre partis d’opposition qui se partagent une niche de 15 % d’électeurs. Il faut qu’un parti ose faire le pas vers le centre. Si le Parti libéral décide d’échanger son désir de gagner par un désir d’avoir raison et qu’il défend un régime fédéral dans le statu quo, sans aucune considération pour les préoccupations identitaires du Québec, le risque d’une marginalisation est réel », estime-t-il.

#10 – Ne pas oublier les têtes grises

Qui dit relance d’un parti politique dit souvent renouvellement et rajeunissement de ses membres et de ses candidats. Au cours des derniers mois, l’arrivée d’une nouvelle garde de politiciens sur la scène municipale, comme Catherine Fournier à Longueuil, Stéphane Boyer à Laval ou Évelyne Beaudin à Sherbrooke, entre autres, a été saluée comme un vent de fraîcheur dans les mairies. L’ex-députée Christine St-Pierre souligne l’apport de ces nouveaux élus et souhaite que cette tendance s’inscrive aussi dans son parti. Mais selon elle, il ne faut pas que la recherche de la nouveauté relègue au second plan la contribution des anciens dans la relance du PLQ. « Il ne faut pas oublier les cheveux gris aussi ! Il faut aller chercher [des gens] qui ont un peu plus une vision de l’histoire du Québec, comment ça s’est bâti et comment on a évolué au sein du Canada », dit-elle.

#11 – Tous minoritaires

Lorsqu’il analyse les forces démographiques qui composent la société québécoise, Jérôme Turcotte trouve un élément partagé de tous : le sentiment d’être minoritaire. C’est vrai d’abord pour la majorité francophone, qui forme une minorité en Amérique du Nord. C’est tout aussi vrai pour les Québécois anglophones, minoritaires dans la province, tout comme pour les nouveaux arrivants, puis les Autochtones, qui sont pour leur part « non seulement minoritaires, mais qui ont aussi vécu la persécution du colonialisme et qui vivent dans un système qui n’a pas encore réussi à s’actualiser », affirme M. Turcotte. Selon lui, le PLQ doit défendre toutes ces minorités, écouter leurs peurs sans les invalider, puis trouver avec elles un point d’équilibre politique.

#12 – Trouver une cause

Au final, conclut le militant vétéran Ronald Poupart, ce sont les membres du parti (et ceux qui s’y ajouteront) qui auront le mot final dans cette liste des épreuves à traverser vers la relance du Parti libéral du Québec. Celui qui a connu les différentes phases du parti, de Jean Lesage à Jean Charest, estime qu’une variable fondamentale a changé au cours des dernières décennies : les gens s’identifient moins aux partis politiques qu’autrefois. « Le militantisme des années 1960 et des années 1970 n’existe plus. Les gens, de plus en plus, veulent défendre une cause », dit-il. C’est cette cause qu’il reste à définir.