De retour d’un séjour à Helsinki, Joël Boucher, ex-enseignant et directeur d’école, s’est intéressé au système d’éducation finlandais, qui propose une approche différente de l’école québécoise.

Précédemment, j’ai abordé les effets nocifs des bulletins chiffrés à date fixe pour illustrer combien ces derniers affectent un trop grand nombre d’enfants en indisposant farouchement leur relation avec l’école durant leur parcours scolaire. L’école porte en elle un mal-être causé largement par cette obsession contribuant à la fatigue, à la détresse et à l’anxiété des élèves et du personnel dans le réseau scolaire.

Obsédée à trop vouloir répondre aux besoins du marché de l’emploi, l’école nous a entraînés dans un dérapage, auquel nous assistons, impuissants, depuis trop longtemps, en faisant fi de la pyramide de Maslow, où l’on devrait plutôt construire l’enfant, donc la personne, pour mieux faire grandir l’élève par la suite. Pas étonnant qu’un très grand nombre d’élèves n’apprécient guère d’être sur les bancs d’école.

En ne limitant l’école qu’au triomphe de la réussite individuelle au détriment de l’essentiel, la philosophe et professeure au collégial Joëlle Tremblay, dans son essai L’inéducation ou l’industrialisation du système d’éducation au Québec, explique comment les décisions politiques des dernières décennies ont éloigné le système d’éducation de sa mission centrale tout en mettant en lumière ce qui devrait prévaloir dans l’éducation, soit l’humanité de l’enfant, voire, plus précisément, l’intelligence, la liberté et, donc, la dignité de chaque enfant.

Autrement dit, on passe à côté de l’essentiel. Le système scolaire a dépossédé l’enfant d’un milieu de vie qui devrait donner préséance à comment réussir sa vie avant même de réussir dans la vie.

D’ailleurs, le leitmotiv de tout système éducatif digne de ce nom ne devrait-il pas être « prendre le temps et prendre plaisir » pour être plus en mesure de prendre soin des enfants que nous accompagnons durant leur parcours scolaire ?

Ce n’est donc pas surprenant d’assister à une absence profonde de motivation. Depuis trop longtemps, l’élève va à l’école pour avoir un beau métier plus tard. Qui s’instruit s’enrichit sera la devise de plus d’une génération, mais l’école se limite-t-elle à les former pour les besoins du marché ? L’école n’est pas séduisante et rebute un nombre considérable d’enfants. Pourquoi ?

C’est la volonté et le pouvoir politique qui font défaut en raison d’une pression parentale, donc sociétale, qui, faussement, croit encore qu’une moyenne de groupe constitue une source de motivation et de dépassement de soi. S’il est clair que les dirigeants politiques et ceux qui occupent le sommet des centres de services scolaires sont incapables de jeter du lest pour moins d’évaluation et davantage d’enseignement, l’école continuera à rater sa cible : éduquer nos enfants.

En clair, nous avons épuisé le système, nous l’avons siphonné, perdant en chemin le but de l’éducation, soit l’émancipation de notre jeunesse et la construction de notre société, pour paraphraser Joëlle Tremblay.

L’école du XXIe siècle devra donc laisser beaucoup plus d’espace pour l’imagination, la curiosité et l’intelligence relationnelle qui conduiront notre jeunesse à faire face aux défis et aux enjeux auxquels elle sera confrontée dans ce monde toujours plus complexe. De toute manière, force est d’admettre que les compétences acquises aujourd’hui seront désuètes lorsque les diplômés arriveront sur le marché du travail, au point où l’employeur doit constamment former l’employé pour pallier les écarts.

Or, prendre soin de notre jeunesse et de tous les acteurs du milieu, c’est d’abord et avant tout leur offrir un environnement qui saura promouvoir les savoirs fondamentaux : la culture générale par les arts, l’histoire et les sciences, le besoin de bouger, la conscience écologique, la tempérance émotive, le travail d’équipe, l’adaptabilité et le sens critique, sans oublier l’incontournable technologie.

Nous sommes à un moment charnière pour notre avenir et il est encore temps de changer de direction, sans quoi très peu de personnes feront le choix d’œuvrer au sein de nos écoles. Les Finlandais, notamment, ont compris que, quel que soit notre métier ou profession, le dénominateur commun est l’enseignement.

Or, qui dit enseignement dit forcément enseignant. Cette profession mérite une refonte de l’échelle de valorisation des professions dans l’esprit populaire, car sans enseignement, il n’y a ni électricien, informaticien, chirurgien ou ingénieur.

Un travail pédagogique de sensibilisation et, par ricochet, de mobilisation s’impose donc afin de valoriser cette profession centrale qu’est l’enseignement dans une société de savoir. Il en dépend de notre qualité de vie qui passe inexorablement par des valeurs éducatives qui riment avec le nous, le collectif, plutôt qu’avec l’individualisme.

Au début des années 1960, Paul Gérin-Lajoie, alors ministre de l’Éducation sous Jean Lesage, avait été le chef d’orchestre d’un magnifique idéal qui consistait à démocratiser l’éducation pour l’ensemble des jeunes Québécois. Le Québec a fait un chemin considérable depuis près de 60 ans, mais ne pourrions-nous pas réfléchir à offrir davantage d’humanité à ce parcours scolaire en misant davantage sur l’enfant, la personne et, par ricochet, le citoyen de demain ?

Et pourquoi pas, après la Révolution tranquille du début des années 1960, une révolution pédagogique tranquille ? Sans coût additionnel par surcroît. N’avons-nous pas là le plus noble des projets collectifs ?

Lisez le premier texte de la série : « Le bulletin chiffré, l’éléphant dans la classe » Lisez le deuxième texte de la série : « L’école québécoise a besoin d’une révolution » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion