(Québec) Après les médecins de famille, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a émis de « sérieuses réserves » sur le partage des renseignements sur les professionnels de la santé que permettrait le projet de loi 11. Une préoccupation partagée par le Collège des médecins, qui réclame que Québec précise ses visées.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, veut accroître l’accès aux services de première ligne en se dotant notamment de leviers légaux pour mieux connaître l’occupation des médecins de famille.

Le projet de loi 11 prévoit de modifier la Loi sur l’assurance maladie pour permettre la divulgation d’information « nécessaire à la planification des effectifs médicaux ». Des dispositions imprécises et beaucoup trop larges aux yeux de la FMSQ et du Collège des médecins, qui ont participé mardi à la consultation parlementaire.

« Ça donnerait accès au ministre, aux établissements, à des données très précises, des données personnelles nominatives de tous [ces travailleurs-là] », a fait valoir le président de la FMSQ, le DVincent Oliva.

« C’est un débat qui dépasse l’objet du projet de loi 11, ça devrait faire l’objet d’une commission sur l’accès aux renseignements. C’est ça qui nous inquiète, la divulgation de ces renseignements-là. On doit être sensible à ça, comme société, il faut être prudent. On n’est pas dans une société Big Brother », a-t-il prévenu.

Article 6

La FMSQ, qui a précisé ne pas vouloir « s’immiscer » dans un projet de loi qui vise les médecins de famille, réclame néanmoins que Québec retire l’article 6 du texte législatif. Cet article permet à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) de « transmettre au ministre les renseignements nécessaires à l’exercice de ses fonctions ».

Le Collège des médecins ne s’est pas dit contre la communication de nouvelles données, mais demande que Québec précise son intention. « Quelles données seraient requises ? Par quelles modalités seraient-elles transmises ? Quelle serait leur utilité », a demandé le directeur général du Collège, le DAndré Luyet.

Le ministre Dubé n’a pas fermé la porte à « réduire la portée » de l’article 6 de son projet de loi. Les associations de médecins craignent que l’accès à ces données permette finalement l’imposition de mesures coercitives contre les médecins.

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La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ), qui demande carrément l’abandon du projet de loi 11, affirme que le texte législatif est « une version actualisée de la désolante loi 20 » de l’ex-ministre libéral Gaétan Barrette, qui prévoit l’imposition de pénalités aux médecins qui ne prennent pas en charge suffisamment de patients.

Ces pénalités n’ont finalement jamais été appliquées.

François Legault avait révélé à l’automne avoir obtenu une liste identifiant les médecins qui ne prenaient pas en charge suffisamment de patients à partir de données de la RAMQ et avait évoqué la possibilité de la transmettre aux établissements de santé. Le ministre Dubé avait par la suite nuancé les propos du premier ministre et affirmé qu’il s’agissait d’une liste anonymisée.

Les consultations parlementaires sur le projet de loi 11, un des éléments de la « refondation » du système de santé promise par le ministre Dubé, se tiennent jusqu’à jeudi.

Des inquiétudes chez la relève

La Fédération des médecins résidents du Québec (FMRQ) a fait valoir mardi que le projet de loi 11 « est dangereux et au mieux inutile ».

« Le défi d’attraction de la relève vers la pratique de la médecine de famille étant déjà très grand, d’autres décisions politiques discriminatoires de ce genre seraient catastrophiques pour le recrutement de nouveaux médecins de famille », écrit la FMRQ.

M. Dubé a également promis de présenter dans sa réforme un plan de revalorisation de la médecine de famille, comme le lui ont demandé notamment le Collège des médecins et la Fédération médicale étudiante du Québec.

La Fédération médicale étudiante du Québec (FMEQ) a mis en lumière que les postes de « jumelage » en médecine familiale attirent de moins en moins la relève. En 2021, 75 postes n’ont pas été pourvus, 36 en 2020 et 29 en 2019.

Plusieurs intervenants ont affirmé que l’accès aux services de première ligne ne peut reposer que sur les épaules des médecins de famille et qu’il faut élargir cet accès en créant par exemple des équipes multidisciplinaires pour prendre en charge le patient selon son besoin. Or, le projet de loi n’en fait pas mention.

« L’interdisciplinarité n’est pas l’objectif du projet de loi », a admis le ministre. Christian Dubé a pris l’engagement de miser sur ce qu’on appelle dans le jargon le « guichet de la pertinence » – qui permet de diriger le patient vers le bon spécialiste en première ligne – dans son plan de « refondation » du système de santé.

Le CISSS du Bas-Saint-Laurent, qui a élaboré cet outil de gestion, a d’ailleurs été invité par le ministre Dubé à participer aux consultations jeudi.