Le Nunavik fait face à une pénurie criante de logement. Et la main-d’œuvre locale qualifiée est insuffisante pour répondre aux besoins de rénovation et de construction. La région peut toutefois compter depuis six mois sur l’équipe de Patrick Payette et Alec Saunders qui ont entrepris de changer la donne, un 2 x 4 à la fois. Avec succès : en six mois, la coopérative d’entreprise-école qu’ils ont créée a déjà récolté plus de deux millions en contrats au Nord.

Pendant dix ans, Patrick Payette s’est rendu régulièrement au Nunavik pour des contrats de construction comme charpentier-menuisier. Pour différentes entreprises et pour la sienne. Puis il a été formateur. Mais l’an dernier, désireux d’impliquer beaucoup plus la population locale sur les chantiers, il a lancé une coopérative de construction composée à 75 % d’Inuits.

« Le besoin de logements est grand au Nunavik. Et le besoin de formation des travailleurs aussi. Il faut penser faire les choses autrement », dit M. Payette.

PHOTO FOURNIE PAR PATRICK PAYETTE

Alec Saunders (à gauche) et Patrick Payette de la Coopérative de solidarité Ikajurtigiit

Résidant de Kuujjuaq, Alec Saunders, 28 ans, a accepté le poste de premier président de la Coopérative de solidarité Ikajurtigiit (ce mot en inuktitut veut dire : aidons-nous tous ensemble). La Coop offre à la fois de la formation à ses apprentis et réalise des contrats de construction-rénovation. « Ça va aider à offrir des emplois de qualité. On pourra aussi offrir de meilleurs prix. Vraiment, avoir ce projet au Nunavik va aider », croit M. Saunders.

Être considéré

Chaque année, il se construit environ 200 nouveaux logements au Nunavik. Malgré tout, avec la croissance de la population, le déficit de logement est évalué à 1000 unités, année après année, note M. Payette. Et cela, c’est sans compter les besoins en rénovation des logements existants. « Plusieurs ont été construits dans les années 1970 et 1980. Et le climat est dur pour les maisons au Nunavik », dit-il.

Quand La Presse les a rencontré pour la première fois en mars, Patrick Payette et Alec Saunders revenaient d’un séjour à Kuujjuaraapik où ils ont rénové six unités d’habitation.

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Patrick Payette (à droite) et Alec Saunders (deuxième à partir de la droite) en compagnie de deux membres de la Coopérative de solidarité Ikajurtigiit

Sur chaque chantier, M. Payette fait de la formation avec ses collègues apprentis. « La connaissance, ça se partage », dit celui qui affirme être « tombé amoureux du Nord » lors de son premier séjour en 2012. Surtout pour « l’environnement, la population et le rythme ». Jusqu’à maintenant, le programme de formation de la Coop est un franc succès. Sur les 12 membres, on compte huit apprentis inuits. Soit autant que l’école professionnelle de la région.

Rencontré par La Presse, Bobby Saviadjuk, 23 ans, de Salluit, est l’un de ces apprentis. Il mentionne que ce qu’il aime le plus dans la Coop Ikajurtigiit est « le fait d’être considéré ». Davidee Nassak, de Kangirsuk, se décrit pour sa part comme un « amoureux du bois ». Ce qui est plutôt ironique pour un natif du Nunavik où aucun arbre ne pousse… Mais pour M. Nassak, la Coop lui donne « la possibilité d’apprendre encore plus » sur son métier, tout en gagnant sa vie.

Ce sont majoritairement des entreprises du sud du Québec qui obtiennent les contrats de construction et de rénovation de maisons au Nunavik.

Coupée du reste de la province, la région doit se rabattre sur le transport par bateau en été pour obtenir des matériaux. Reste aussi le dispendieux transport par avion. Les coûts de construction sont donc très élevés.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Patrick Payette, fondateur de la Coop de solidarité Ikajurtigiit

Les chantiers vont à grande vitesse. Les compagnons n’ont souvent pas le temps d’enseigner aux apprentis.

Patrick Payette, fondateur de la Coop de solidarité Ikajurtigiit

Conséquence : les travailleurs inuits qui ont besoin de formation sont souvent confinés à des tâches moins intéressantes. « Des fois, ils ont 10 000 heures d’expérience, mais ils ont juste fait du nettoyage de site et posé de la laine… Ce n’est pas intéressant pour eux », note M. Payette.

Âgé de 28 ans, Samuel Mifsud, de Kangiqsujuaq, travaille depuis sept ans en maintenance. Mais il espère avoir accès à des postes plus intéressants. Pour lui, la Coop « est la meilleure des solutions », a-t-il expliqué à La Presse.

De 2018 à 2022, M. Payette était formateur pour le projet Sanajiit qui visait justement à favoriser l’intégration de travailleurs inuits dans les projets de construction au Nord. « J’allais entraîner, mais je ne créais pas d’emploi. Quand j’ai commencé à demander à des élèves : “Ça te tenterait-tu d’être membre d’une Coop de construction où tu aurais ton mot à dire sur les contrats, les horaires, la business ?” Les gens ont dit oui. »

Repenser l’habitation

Depuis son lancement en décembre, la Coop a décroché 2 millions en contrats. Principalement avec l’Office municipal d’habitation Kativik. « On va aussi construire 21 cabanons à Kuujjuaq cet été. On a des contrats à Kuujjuaraapik, Umiujaq, Aupaluk… » énumère fièrement M. Saunders.

La Coopérative compte 12 membres à 75 % inuits, âgés de 21 à 29 ans. « Ce ne sont pas juste des employés. Ils prennent des décisions en gang. Ça fait une grande différence dans l’assiduité », dit M. Payette.

Des travailleurs de la construction travaillant au Nunavik laissent parfois entendre que les ouvriers inuits sont peu assidus. Pour Patrick Payette, c’est surtout que le prisme par lequel on regarde la situation n’est pas le même. Il mentionne qu’un ouvrier qui débute gagne 25 $ de l’heure. « Ça semble beaucoup. Mais le coût de la vie est si élevé au Nunavik que c’est le salaire minimum », dit-il.

M. Saunders ajoute que pour les Inuits, il peut être intimidant d’aller travailler pour des entreprises où plusieurs employés ne parlent parfois que le français. « Tu peux te sentir très seul », dit-il.

Ajoutons à cela le pouvoir attractif des emplois d’organismes locaux. Et cela fait « plusieurs petits facteurs qui limitent l’intégration de travailleurs inuits en construction », note M. Payette. La Coop veut aider à remédier à la situation.

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