Ralentir en politique, ça relève peut-être du miracle, comme le nom de ce nouveau restaurant où l’on se rencontre : Miracolo. Avez-vous l’impression que le rythme politique s’est accéléré dans les dernières années, au moment où les crises – politiques, sociales, climatiques ou autres – se complexifient ?

Véronique Hivon : J’ai le sentiment que ça s’est accéléré. La pandémie a aussi eu un impact sur le microcosme du parlement en instaurant des points de presse quotidiens, notamment des oppositions. Ça fait en sorte qu’on s’attend à ce que toutes les formations politiques soient capables de réagir chaque jour aux articles du matin. Ça met une énorme pression, mais en même temps, comment avoir la réponse parfaite dans l’instantanéité extrême ?

Il y a aussi les commissions parlementaires. Quand j’étais attachée politique au début des années 2000, il se passait plusieurs semaines entre le dépôt d’un projet de loi et les consultations en commission. Maintenant, les groupes sont souvent appelés deux semaines plus tard [aux auditions publiques], puis le gouvernement enchaîne avec l’étude détaillée. Tu n’as même pas eu le temps d’absorber l’expertise reçue que tu dois déjà te faire une tête.

Christine St-Pierre : Le nombre de journalistes a aussi diminué de façon incroyable avec les années, alors que la rapidité de l’information a augmenté. Aujourd’hui, certains sujets passent dans le beurre, pas parce que les journalistes ne veulent pas les couvrir, mais parce qu’ils n’ont pas le temps et qu’ils ne sont pas assez nombreux.

Sortir de la « bulle » parlementaire, est-ce une sensation comparable au fait de descendre des tapis roulants qui nous transportent d’une zone à l’autre à l’aéroport ? On sait qu’on a accéléré, mais on le constate d’un coup sec en descendant ?

Véronique Hivon : Le parlement a son propre rythme et cette frénésie est difficile à expliquer à l’extérieur de cette bulle. À la fin de ma vie politique, j’avais beaucoup plus de critiques et de difficulté à composer avec ça. Je trouvais que c’était incessant et qu’on ne servait pas toujours bien la démocratie en étant si souvent en action/réaction.

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Christine St-Pierre

Christine St-Pierre : Le plus bel exemple de décisions qui se prennent rapidement et avec lesquelles tu peux parfois gaffer, ce sont les motions [sans préavis à la fin de la période des questions]. Elles arrivent quand tu es en caucus, concentrée sur la question que tu vas poser au Salon bleu, ou celle qu’on risque de te poser. Puis là, en 20 minutes, tu es obligée de prendre une décision sur la corde raide. Après, les mêlées de presse, les projets de loi, le Conseil des ministres et les réunions s’enchaînent. C’est assez fou. Quand j’étais ministre, je disais souvent que j’avais quatre bureaux : à Québec, à Montréal, dans ma circonscription et mon auto. C’est ça, la politique. Et en même temps, c’est paradoxal, mais on aime ça.

Avec la crise des modèles d’affaires en journalisme, mais aussi toutes les questions qui se posent pour une réforme du parlementarisme, est-ce utopique de penser qu’on pourrait collectivement choisir de ralentir, élus et médias, pour se donner plus de temps pour réfléchir aux politiques publiques et pour les couvrir ?

Christine St-Pierre : Certains médias vont se spécialiser dans ça, dans les papiers de réflexion, plus en profondeur. Mais quand tu retournes dans la fournaise du parlement, je pense que c’est impossible de ralentir.

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Christine St-Pierre, Véronique Hivon et notre journaliste

Pourquoi ?

Christine St-Pierre : Parce que tout va vite. C’était plus lent avant parce qu’il n’y avait pas les médias sociaux. Maintenant, tu reçois la ligne du ministre en temps réel et les journalistes mettent leur texte à jour immédiatement.

Partagez-vous cette impression, Mme Hivon, qu’on ne peut pas descendre la chaleur qui émane de la « fournaise » du parlement ?

Véronique Hivon : Je pense qu’il faut essayer de la descendre. C’est impossible de complètement baisser le rythme, mais on peut imaginer une manière de fonctionner à deux voies, médias et élus, où la première voie est un peu la continuité de ce qu’on voit maintenant, mais la seconde voie est une voie pour approfondir les choses et pour que les débats qui ont cours dans nos parlements trouvent un véritable écho dans la société.

C’est vrai que les journalistes ont un travail qui s’est énormément complexifié. Dans ce contexte, je milite pour un sommet, un rendez-vous de réflexion conjoint entre les élus et les médias pour savoir comment on peut mieux servir la démocratie. Je ne pense pas que c’est de l’utopie. On voit certains mouvements en lien avec la fatigue informationnelle. Des gens qui décrochent. Je pense qu’on a une responsabilité de se questionner par rapport à ça.

Les propos ont été abrégés et condensés à des fins de concision.

Nos invitées

Véronique Hivon

  • Née à Joliette en 1970. Titulaire d’une maîtrise en analyse et planification de politiques sociales de la London School of Economics and Political Science, au Royaume-Uni, ainsi que d’un baccalauréat en droit civil de l’Université McGill.
  • A été députée du Parti québécois dans sa ville de naissance de 2008 à 2022. Elle ne s’est pas représentée aux dernières élections.
  • Professeure invitée au département de science politique de l’Université de Montréal.
  • On peut l’entendre chaque semaine dans une chronique à l’émission matinale Tout un matin sur les ondes de la radio de Radio-Canada à Montréal.

Christine St-Pierre

  • Née à Saint-Roch-des-Aulnaies en 1953. Titulaire d’un baccalauréat en sciences sociales de l’Université de Moncton.
  • Après une longue carrière comme journaliste, courriériste parlementaire et correspondante à l’étranger pour Radio-Canada, elle a siégé à titre de députée du Parti libéral du Québec dans la circonscription de l’Acadie à Montréal de 2007 à 2022. Elle ne s’est pas représentée aux dernières élections.
  • On peut désormais lire ses analyses politiques dans le magazine L’actualité.