Quelques bons coups et bien des boulettes. Plus que jamais, gouverner est un sport extrême à Québec. Au fil des semaines, quelques ministres se sont illustrés. D'autres moins...

 

Des ministres sous la loupe

LES ÉTOILES

Pierre Moreau, aux Affaires municipales, a fait sourire quand sa limousine s'est engagée sur le gazon pour échapper aux manifestants de la coalition contre le projet de loi 3.

Mais il a su mener sans trop de problèmes deux dossiers très délicats. Les syndicats étaient mobilisés contre son projet de loi sur les retraites, une fronde susceptible de catalyser le mécontentement de toute la population. En fin de compte, même le PQ a mis la main à la pâte pour faire adopter le projet sans bâillon. Moreau aura aussi su faire avaler en douceur la coupe de 300 millions au monde municipal, la disparition des CRE et des CLD.

Gaétan Barrette ne s'enfarge pas dans les fleurs du tapis, son franc-parler peut le mettre dans le pétrin, il écorche Claude Castonguay, Pierre Karl Péladeau, Berlusconi... On doit souvent le réprimander. Mais lui aussi a la cote auprès de Philippe Couillard. Le ministre de la Santé défend avec une énergie peu commune ses projets ambitieux. Depuis des années son plan de match était établi: faire sauter des paliers de décision dans le système de santé, forcer les omnipraticiens à travailler davantage en imposant des quotas.

Dogmatique, avec son ton monocorde Martin Coiteux conserve devant l'adversaire la ténacité du pitbull. À l'interne, on le voit comme un ministre ouvert à la discussion, surtout capable d'expliquer les raisons de ses décisions. À l'extérieur, il paraît trop cassant. Une ombre au tableau, le rapport Robillard s'est préparé sous sa responsabilité et a été relégué aux tablettes dès le premier jour. Mais du «trio économique» annoncé en campagne électorale, il reste celui qui a le mieux su tirer son épingle du jeu.

LES PROBLÈMES

Le responsable de l'Environnement, David Heurtel, sort malmené de cette session parlementaire, et semble ne pas être en contrôle de ses dossiers, constate-t-on. «Un cas à risque» qu'on trouve souvent arrogant, même à l'interne. Il avait fait porter à ses fonctionnaires l'odieux du feu vert donné par erreur à TransCanada à Cacouna. Une bien mauvaise idée pour un ministre. Pour lui permettre de redorer son image, on lui avait donné une place aux côtés de Leitao et Coiteux lors du mini-budget de la semaine dernière.

Au gouvernement, on en a soupé de Jacques Daoust, responsable du Développement économique. Le message ne saurait être plus clair. Depuis le premier jour, on voit clairement sa campagne en sourdine pour obtenir le poste des Finances. Il est presque invisible sur le terrain, même de simples députés font davantage parler d'eux dans les médias régionaux. Il ronchonne quand il doit partager la tribune avec un collègue. Sa dernière erreur: se désolidariser de son collègue Leitao dans des entrevues où il choisissait à haute voix les crédits d'impôt qu'il fallait ou non préserver. «Ce n'est pas moi qui décide!» soutenait-il. À sa place, il serait plus prudent de ne pas appeler une décision.

On avait prévu nommer Yves Bolduc comme ministre délégué à Gaétan Barrette le printemps dernier; en s'agrippant, il est parvenu à arracher l'Éducation. On n'aurait pas dû céder. De sa prime de médecin de famille à la refonte de la carte des commissions scolaires en passant par les écoles juives et l'achat de livres des bibliothèques, tout ce qu'il touche devient controverse. Il pouvait naviguer dans le réseau de la santé, qu'il connaissait. Il n'a jamais potassé ses dossiers à l'Éducation. Un candidat évident à un remaniement éventuel.

EN OBSERVATION

Au Conseil des ministres, plusieurs sont encore «en observation»; on évalue toujours leur apport au plan de match global du gouvernement. Avec une dose de miséricorde, car en politique, les faux pas sont nombreux. Même Philippe Couillard a eu des rencontres avec l'humilité. Il avait mal évalué l'importance de dire quelques mots en français dans un discours en Islande. Il s'était gouré en essayant de promouvoir le porc québécois auprès de Chinois qui en exportaient eux aussi.

Carlos Leitao était, de loin, la plus grosse capture parmi les candidats du PLQ. La déception en est d'autant plus grande. L'économiste affable n'a pas su se transformer en guerrier comme son collègue Coiteux. Il s'est perdu 82 000 emplois depuis l'élection du PLQ, mais notre économiste en chef continue à dire qu'il fait beau. Les «engagements» deviennent des «cibles», le privé pourrait s'occuper des enfants handicapés... Il n'y avait pas de politique dans son ADN.

Rien ne prédisposait Lise Thériault à la Sécurité publique. Avant l'été, ses réactions à la suite de la spectaculaire évasion héliportée étaient navrantes. Avec le rapport de l'ex-sous-ministre Michel Bouchard, elle a repris du poil de la bête. La nomination de son sous-ministre Martin Prud'homme comme patron de la SQ s'est faite sans controverse. Mais tout le monde aura remarqué que lorsque Philippe Couillard est absent de l'Assemblée nationale, c'est Jean Marc Fournier qui sert de bouclier au gouvernement, et non la vice-première ministre.

«Pauvre Francine!» On éprouve bien de la compassion envers Francine Charbonneau, la responsable des services de garde. Sa mission, délicate, aurait nécessité beaucoup d'expérience politique. Elle n'en avait aucune. Des projets tablettés plus débloqués, l'intention mal avisée d'imposer des pénalités pour les places vides en CPE, elle a cheminé péniblement tout l'automne.

À l'Agriculture, Pierre Paradis est en symbiose avec sa clientèle. Mais il reste un incorrigible «loner», qui n'a pas hésité à descendre en flammes le rapport Robillard, répudié par l'Union des producteurs agricoles. Il a toujours eu son propre agenda; il a mis bien des efforts cet automne pour arriver à faire nommer son disciple inconditionnel, Fernand Archambault, au poste de sous-ministre à l'Agriculture.

À l'Emploi, François Blais est bien discret, n'a fait aucun faux pas, mais surtout il est bien en retard sur ses objectifs de compression. Les mises à pied d'occasionnels ne sont jamais faciles à annoncer, il faut en convenir.

LES BONS SOLDATS

D'autres ministres trouvent grâce aux yeux du patron. Néophyte, Stéphanie Vallée, à la Justice, mène d'une main sûre des dossiers complexes. Appréciée en haut lieu, elle a bien fini la session avec son projet de loi sur la récupération des sommes fraudées dans les contrats publics. Elle a pris une décision audacieuse en demandant, au-delà du DPCP une enquête externe sur la mort du garçon à la suite d'un accident impliquant un véhicule de la SQ.

Le leader parlementaire Jean-Marc Fournier est toujours vu comme une valeur sûre, même si sa stratégie erratique dans le dossier de Pierre Karl Péladeau laisse tout le monde perplexe. Il a déposé deux documents pour favoriser plus de transparence dans le comportement des élus.

Sans feux d'artifice, Pierre Arcand est aussi vu comme un élément fiable du Conseil des ministres. Ses réponses à la période des questions ne laissent pas prise à la réplique.

Christine St-Pierre est parvenue à sauver son ministère voué à devenir «secrétariat», une opération qui ne procurait guère d'économies. Elle a livré sans soulever de vagues les compressions demandées, fermé des bureaux et ramené des fonctionnaires. Des gestes qui ont fait oublier son accrochage, inutile, avec Jean-François Lisée sur les dépenses de son prédécesseur.

Robert Poëti a bien pu se tromper lourdement sur les coûts de la réfection de Turcot, on observe avec satisfaction «qu'on entend plus parler de problèmes au ministère des Transports», une bonne nouvelle en soi. Aussi il a su nouer une bonne relation avec le maire Denis Coderre, un gros atout.

Un autre ministre dont on est «content de ne pas entendre parler», Geoffrey Kelley, qui fait un travail souterrain auprès des communautés autochtones, et qui a su désamorcer bien des crises latentes.

Sam Hamad, au Travail, a rêvé pendant longtemps d'un portefeuille économique plus important. Il se console; il reste le roi de la Capitale. Ses sorties font sourire; les gens de Québec «veulent une équipe de hockey, pas un pays» selon lui. Les libéraux de Justin Trudeau veulent le convaincre de sauter sur la scène fédérale, et il les écoute.

Les figures de proue de l'opposition

Parti québécois : l'effet PKP

Jamais un simple député, à plus forte raison de l'opposition, n'aura drainé autant d'attention que Pierre Karl Péladeau. Sauf peut-être René Lévesque quand, devenu simple député, il avait rompu avec les libéraux de Jean Lesage pour fonder son propre parti.

Presque chaque jour, le député péquiste de Saint-Jérôme a décroché des manchettes; parfois favorables, souvent mitigées. Il termine la session avec un lourd blâme du commissaire à l'éthique de l'Assemblée nationale, Jacques Saint-Laurent. C'était pour lui une erreur d'intervenir en commission parlementaire dans un dossier qui avait des conséquences pour Québecor. C'en était une seconde de téléphoner au patron d'Investissement Québec dans le même dossier.

Ses qualités de parlementaire ne sont pas évidentes; ses interventions en Chambre sont laborieuses. Il est réduit souvent à lire ses questions. Mais son charisme et sa capacité de mobiliser bon nombre de militants péquistes restent fascinants. La démonstration de force de dimanche dernier a durement frappé ses adversaires dans la course à venir.

Chez bien des péquistes, ministres sous Pauline Marois, un ressort s'est cassé avec la défaite d'avril dernier. Le retour à l'Assemblée de l'automne était déjà un pensum, il présage d'un hiver de quatre ans. Le chef parlementaire Stéphane Bédard tient la barre sans faiblir, adopte le ton adéquat toujours sur des enjeux importants; l'emploi, le développement économique, le fardeau fiscal. Mais on sent que le coeur y est moins, «on s'est fait avoir, on s'est fait passer un sapin aux dernières élections», répétait-il vendredi.

Au PQ, c'est probablement Alexandre Cloutier qui s'est le mieux tiré d'affaire. Ses interventions insistantes, mais mesurées ont marqué des points; Stéphanie Vallée n'a jamais expliqué pourquoi l'ex-procureur-chef Steeve Magnan n'avait pas été retenu à la magistrature, alors qu'il avait été désigné par un comité. Il est revenu bien des fois à la charge pour demander qu'Hélène De Kovachich, ex-présidente du Tribunal administratif du Québec, rembourse les frais d'avocat qu'elle s'était fait payer par l'État. Finalement, il aura à coup sûr contribué à convaincre Québec de demander une enquête indépendante sur l'accident d'automobile ayant causé la mort d'un garçon de 5 ans, à Longueuil. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales avait offert de revoir la preuve soumise, on lui a imposé une enquête externe, une première. Toujours loin derrière M. Péladeau, Cloutier s'est probablement hissé en deuxième place, devançant son collègue Bernard Drainville. Être second risque d'être important, dans l'éventualité d'un ralliement contre le magnat de la presse.

Drainville n'a pas su marquer des points à l'Assemblée nationale comme dans la course à la succession de Pauline Marois. Son souci de ne pas trop se mettre à dos l'éventuel chef, M. Péladeau, de ne pas «se maganer» entre péquistes aura limité sa marge de manoeuvre. Premier sur les blocs de départ de la course, il regrette probablement sa stratégie référendaire, le report de la consultation à 2022. Ses adversaires ont su garder la latitude de profiter de la conjoncture si elle se présentait. Bon débatteur, il faut s'attendre à ce qu'il combatte l'intention du parti de ne prévoir que quatre débats entre les aspirants à la direction.

Jean-François Lisée est dans une classe à part. Il a avec courage mis une grenade sous son siège en soutenant que Pierre Karl Péladeau était «une bombe à retardement» pour le PQ. Il a continué en révélant qu'il aurait voté contre la charte de la laïcité de son collègue Drainville. Il peine à amasser les 1000 bénévoles qu'il avait appelés à Tout le monde en parle. Il a des problèmes à amasser les signatures nécessaires à sa candidature. Et pour le financement, c'est pire encore. Il part bientôt pour la France, sa femme va accoucher. Il ne reviendra que fin janvier. Il ne serait pas étonnant qu'il se désiste.

Candidate à la succession de Mme Marois, Martine Ouellet continue son travail soutenu et consciencieux, tout comme sa collègue Véronique Hivon d'ailleurs. Encore aigrie par la défaite du printemps, Agnès Maltais nourrit une rancune solide envers les médias, responsables, selon elle, de son retour dans l'opposition, après seulement 18 mois au pouvoir.

CAQ : la bataille des oppositions

François Legault et son parti ont connu un bon automne. La victoire de François Paradis dans Lévis a un peu atténué l'impact du départ de la vedette économique du parti, Christian Dubé, passé à la Caisse de dépôt.

François Legault reste sur ses thèmes, le développement économique, les dépenses gouvernementales, l'argent à récupérer auprès des firmes qui ont fraudé l'État. Il joue la carte de «l'opposition constructive» qui approuvera toutes les mesures susceptibles de réduire les dépenses gouvernementales. Petit à petit, il tente d'accréditer sa thèse, c'est son parti et non le PQ qui forme l'opposition officielle.

François Bonnardel s'est révélé un leader parlementaire pugnace. Il est à l'origine de la motion qui soulevait le problème de la propriété d'un empire médiatique par un élu à l'Assemblée nationale, une stratégie qui a permis à son parti d'attirer pendant plusieurs jours les feux de la rampe.

Gérard Deltell, député caquiste de Chauveau, n'a jamais accepté de perdre son rôle stratégique de leader parlementaire de sa formation. Il a pris du recul, est bien moins visible, et prépare, semble-t-il, son départ comme candidat pour Stephen Harper l'an prochain.

Québec solidaire : garder le fort

La morosité semble s'être emparée de Québec solidaire. Le trio des députés a perdu un recherchiste d'une efficacité redoutable, ce qui rend moins incisives ses interventions en Chambre.

Aussi, les contributions occultes des firmes de professionnels en retour de lucratifs contrats de Québec font moins recette. Même à la commission Charbonneau, le lien n'a pas été mis en évidence, sauf pour la Ville de Montréal.

Françoise David garde le fort, continue de participer aux débats de façon constructive. En revanche on sent son collègue Amir Khadir de plus en plus détaché de la vie parlementaire.