Un comité sénatorial se range dans le camp du Québec et du Manitoba: les deux provinces devraient avoir la latitude d'interdire la culture de cannabis à domicile comme elles le souhaitent, même si la loi fédérale permet d'en faire pousser jusqu'à quatre plants par foyer.

Un pas vers un affrontement législatif entre le Sénat et la Chambre des communes sur cette épineuse question a été franchi, lundi, le comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie adoptant un amendement visant à écrire noir sur blanc ce droit à la prohibition.

L'amendement stipule que «la présente loi n'a pas pour effet de porter atteinte à l'application de toute disposition législative provinciale qui restreint davantage ou qui interdit la culture, la multiplication ou la récolte de plantes de cannabis dans une maison d'habitation».

La modification, qui a été adoptée avec division, donnerait «l'autorité aux provinces d'interdire la culture à domicile», a indiqué la sénatrice du groupe des indépendants qui l'a mise de l'avant, la Québécoise Chantal Petitclerc.

La sénatrice conservatrice Judith Seidman a dit appuyer «inconditionnellement» l'amendement découlant d'une demande du gouvernement québécois. Car même si le fédéral a juré qu'il ne contesterait pas les lois provinciales, «un citoyen privé le fera assurément», a-t-elle plaidé.

Le Québec et le Manitoba ont tous deux déposé des projets de loi qui interdiraient la culture de la substance à domicile. Le premier ministre Justin Trudeau a plaidé, début mai, que l'approche fédérale était «la bonne» et que c'était ce qu'il s'attendait à ce que «les gens suivent».

Des dizaines de modifications à la mesure législative fédérale C-45 ont été mises de l'avant au fil de la réunion du comité sénatorial chargé de son étude. Un bon nombre d'entre elles émanaient du gouvernement libéral, mais elles étaient surtout de nature technique.

À l'issue de cette étude article par article, le comité remettra au Sénat un rapport contenant ses amendements. Les sénateurs débattront ensuite de ces propositions à la chambre haute en vue d'un vote final le 7 juin au plus tard.

Si le Sénat devait adopter l'amendement qu'a déposé Chantal Petitclerc au nom du groupe des sénateurs indépendants (GSI), cela pourrait donner le coup d'envoi à une partie de ping-pong législatif, sport auquel la chambre haute, plus indépendante, a pris goût.

Le sénateur indépendant André Pratte a l'impression que l'amendement jouira d'un «appui assez fort» à la chambre haute. Il n'est pas prêt à dire jusqu'où il serait personnellement prêt à aller pour mener cette bataille ou s'il s'agit pour lui d'une condition sine qua non.

Il croit cependant que le gouvernement Trudeau doit entendre le message et comprenne que son approche n'est pas nécessairement la meilleure. La «meilleure solution, c'est peut-être justement de tenter les deux voies», a-t-il argué en entrevue avec La Presse canadienne.

«On verra dans quelques années quelle est la meilleure voie; l'interdiction de la culture à domicile ou l'autorisation d'un nombre limité de plants à domicile. Pour l'instant, on ne le sait pas vraiment», a-t-il exposé.

Au bureau de la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, on n'a pas souhaité réagir à l'adoption de l'amendement, lundi. «Nous attendons de voir de quoi cela aura l'air lorsque (le Sénat) aura vraiment terminé», a écrit son directeur des communications, David Taylor.

Le ministre québécois responsable des Relations canadiennes, Jean-Marc Fournier, prévoit commenter ce développement mardi à l'Assemblée nationale. C'était lui qui avait demandé à un comité sénatorial d'amender C-45 de manière à permettre à Québec d'exercer ce qui relève, selon lui, de son champ de compétence.

Dernier plaidoyer de Bill Blair

Le comité sénatorial avait entendu un peu plus tôt, lundi après-midi, un dernier plaidoyer du gouvernement en faveur de la culture à domicile. C'est le secrétaire parlementaire à la Justice, Bill Blair, qui est venu faire cette dernière représentation au nom des libéraux.

Il a fait valoir auprès des sénateurs que la disposition de la mesure législative fédérale C-45 permettant de faire pousser jusqu'à quatre plants par foyer correspondait aux objectifs poursuivis par les libéraux.

Le député Blair a soutenu qu'une culture limitée à la maison permettrait de favoriser la transition de la substance du marché illégal vers le marché légal, et que la prohibition pourrait avoir comme conséquence de criminaliser des Canadiens qui respectent la loi.

Report pour les Autochtones rejeté

Le comité a rejeté la proposition de repousser l'entrée en vigueur de la loi afin de laisser plus de temps aux communautés autochtones de s'y préparer. L'amendement défait s'inspirait de la recommandation du comité des peuples autochtones, qui voulait reporter la mise en vigueur d'«au plus un an».

Le sénateur conservateur Dennis Patterson suggérait dans son amendement que la loi n'entre pas en vigueur pour une période non spécifiée - jusqu'à ce que le gouvernement dépose un rapport sur une série d'enjeux touchant les communautés autochtones.

Le président du comité, le sénateur libéral indépendant Art Eggleton, s'est objecté à la proposition. Il a affirmé que l'on retrouverait dans un flou entre le moment où C-45 recevrait la sanction royale et la signature du décret confirmant l'entrée en vigueur de la loi.

Le chapitre n'est pas forcément clos pour autant, car rien n'empêche des sénateurs de revenir à la charge et de proposer des amendements pendant les échanges à la chambre haute, qui devraient débuter dans les prochains jours.

***



FORCES EN PRÉSENCE AU SÉNAT


Groupe des sénateurs indépendants: 43  sièges

Parti conservateur du Canada: 32 sièges

Parti libéral du Canada: 11 sièges

Non affiliés: 6 sièges

Sièges vacants: 13 Alberta (1), Colombie-Britannique (1), Île-du-Prince-Édouard (1), Nouvelle-Écosse (2), Ontario (2), Québec (2), Saskatchewan (1), Terre-Neuve-et-Labrador (1), Territoires du Nord-Ouest (1), Yukon (1)

Total de sièges: 105

PC

Bill Blair