Le ministère fédéral des Ressources naturelles se défend d'avoir acheté « directement » de faux abonnés Facebook l'automne dernier. L'injection de 5000 $ en fonds publics pour récolter 3600 mentions « J'aime » soulève néanmoins plusieurs questions éthiques chez des experts en marketing numérique.

Un document déposé cette semaine à la Chambre des communes, dont La Presse a fait état, révèle que le ministère a dépensé des milliers de dollars sur Facebook entre le 23 octobre et le 6 novembre derniers. Cet investissement visait à promouvoir le programme de certification fédéral Energy Star, sur des pages en anglais et en français.

Si le texte du document officiel mentionne clairement « l'achat » de mentions « J'aime », Catherine Leroux, porte-parole de Ressources naturelles Canada (RNCan), a plutôt affirmé hier que son ministère avait mené une « campagne publicitaire standard » sur le réseau social.

Cet effort de marketing a permis aux deux pages d'Energy Star Canada de récolter 3600 mentions « J'aime » provenant d'utilisateurs réels, a avancé Mme Leroux. « RNCan ne fait pas directement l'achat de mentions J'aime dans Facebook. Aucune tierce partie n'a pris part à cette transaction. »

PAS DE TAXES

Cette transaction pose malgré tout de sérieux problèmes sur le plan éthique, estime Nellie Brière, consultante en stratégie de communication numérique.

Le gouvernement fédéral effectue désormais 55 % de ses dépenses publicitaires totales sur des plateformes numériques étrangères comme Facebook et Google (16,8 millions l'an dernier), note-t-elle. Or, ces sociétés ne sont pas tenues de facturer des taxes de vente et sont exemptées de payer des impôts d'entreprise, contrairement à leurs concurrentes canadiennes de même nature.

« Il y a un contexte éthique, surtout que le gouvernement a coupé les investissements qu'il faisait en publicité dans les médias locaux, a noté Nellie Brière. Et ça, ça fait mal, ça va faire mourir des médias locaux. »

Sans nier l'efficacité que peut avoir une campagne publicitaire sur Facebook, la consultante juge que RNCan a pris une décision « très pragmatique, mais qui manque d'éthique ».

« DOUBLE MESSAGE »

Frédéric Gonzalo, fondateur de Gonzo Marketing et spécialiste des communications numériques, se dit lui aussi dérangé par le « double message » envoyé par Ottawa. Car si le gouvernement Trudeau répète vouloir s'attaquer à l'évasion fiscale, il augmente en même temps ses dépenses publicitaires sur des plateformes qui ne paient pas de taxes et qui recourent dans certains cas aux paradis fiscaux.

« Il y a de l'argent en tabarnouche qu'on laisse sur la table en taxes non perçues, a-t-il lancé. C'est le bout qui me bogue le plus en tant que citoyen et en tant que "marketeur". »

La porte-parole de RNCan a fait valoir à La Presse que les « droits standards » avaient été payés à Facebook dans le cadre de la campagne publicitaire de l'automne dernier.

« Le paysage médiatique change. Le gouvernement du Canada s'efforce d'utiliser une variété de médias et de plateformes pour maximiser la portée de son action d'information, notamment en innovant dans l'emploi des technologies, y compris les médias sociaux », a-t-elle justifié.