(Ottawa) Nouvelles dépenses. Nouvelles taxes. Pas de retour à l’équilibre budgétaire à l’horizon. Et un signal clair aux jeunes inquiets du coût de la vie qu’Ottawa se préoccupe de leur sort et remue ciel et terre pour régler la crise du logement.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a déposé mardi son quatrième budget en faisant un triple pari. D’abord, que les nouvelles dépenses n’alimenteront pas l’inflation. Ensuite, que les nouvelles taxes passeront comme une lettre à la poste parce qu’elles touchent les mieux nantis. Enfin, que les déficits qui s’accumulent ne brouilleront pas le message d’espoir qu’elle lance aux milléniaux et à la génération Z, qui sont de plus en plus séduits par le Parti conservateur de Pierre Poilievre.

Dans ce budget, le gouvernement Trudeau prévoit maintenir le déficit sous la barre des 40 milliards au cours des deux prochaines années, malgré la valse d’annonces de nouvelles dépenses dans le logement, la défense nationale et l’intelligence artificielle, entre autres, au cours des deux dernières semaines.

Pour y arriver, il puisera davantage dans la poche des contribuables fortunés ainsi que dans celle des fumeurs tout en profitant d’une croissance économique légèrement plus forte que prévu il y a six mois à peine.

Critiqué par le Parti conservateur, les gens d’affaires et certains économistes qui l’accusent d’avoir perdu le contrôle des dépenses, le gouvernement libéral soutient qu’il respecte les ancrages budgétaires essentiels au maintien de la cote AAA du Canada, notamment en gardant le déficit en dessous de 1 % du PIB.

Mme Freeland affirme qu’Ottawa réussit à atteindre ses cibles tout en effectuant les investissements nécessaires pour s’attaquer à la crise du logement et à la hausse du coût de la vie qui frappent durement bon nombre de Canadiens. Elle confirme aussi l’équivalent de 36 milliards de dollars de nouvelles dépenses en cinq ans, dont plusieurs ont été annoncées par Justin Trudeau et ses ministres avant le dépôt du budget.

« Les Canadiennes et les Canadiens savent à quel point il est important de gérer leur budget de manière responsable face à l’augmentation des coûts de la vie. Ils s’attendent avec raison à ce que leur gouvernement fasse de même », a affirmé la ministre des Finances dans son discours à la Chambre des communes.

Ainsi, elle prévoit que le déficit s’établira à 39,8 milliards en 2024-2025 et atteindra 38,9 milliards en 2025-2026. L’encre rouge sera encore de mise en 2028-2029 puisque le déficit devrait être de 20 milliards.

La bonne tenue de l’économie permettra à Ottawa d’engranger 3,4 milliards de plus que prévu cette année et 3,9 milliards l’an prochain. Les plus fortunés seront aussi mis à contribution pour renflouer les coffres fédéraux. Mme Freeland a annoncé qu’à partir du 25 juin, la portion imposable des gains en capital passera de 50 % à 66 % pour les personnes qui déclarent annuellement plus de 250 000 $ de gains en capital. Cette mesure, qui toucherait 40 000 contribuables, devrait rapporter 19,3 milliards sur cinq ans, dont 6,9 milliards cette année et 3,37 milliards en 2025-2026.

Je sais qu’il y aura de nombreuses voix qui vont s’élever pour protester. Personne n’aime payer plus de taxes, même ceux qui peuvent le plus se le permettre. Mais avant qu’ils se plaignent trop, j’aimerais que le 0,1 % des Canadiens touchés se posent la question suivante : dans quel genre de Canada voulez-vous vivre ?

Chrystia Freeland, ministre des Finances

Pour dorer la pilule, la grande argentière du pays propose d’augmenter de 25 % l’exemption cumulative des gains en capital sur la vente d’une petite entreprise ou de biens agricoles ou de pêche, la faisant passer de 1 million à 1,25 million. Cette mesure privera le fisc de 1,6 milliard sur cinq ans.

Mme Freeland annonce aussi une réduction de la taille de la fonction publique par attrition de 5000 employés au cours des quatre prochaines années, une mesure qui devrait permettre de réaliser des économies de 4,2 milliards en tout.

À compter de ce mercredi, les droits d’accise sur le tabac seront majorés de 5,49 $ par cartouche tandis que les produits de vapotage seront frappés d’une hausse de 12 % des droits d’accise.

Série de mesures pour le logement

Au chapitre des dépenses, le gouvernement Trudeau confirme la mise en œuvre d’une série de mesures totalisant 8,5 milliards pour accélérer la construction de logements au pays, en plus de programmes de prêts à taux avantageux. Son objectif est ambitieux : un minimum de 2 millions de nouveaux logements de plus que les 1,87 million prévus par la Société canadienne d’hypothèques et de logement d’ici 2030. Il propose d’ailleurs de construire des logements sur des terrains appartenant à Postes Canada et à la Défense nationale, en plus de convertir en logements des immeubles fédéraux sous-utilisés.

Ottawa propose aussi d’investir 1,5 milliard sur cinq ans pour jeter les bases d’un programme national d’assurance médicaments – une première phase qui va offrir une couverture pour des médicaments contre le diabète et les contraceptifs. Il va aussi bonifier de 1,1 milliard de dollars le programme de prêts sans intérêt pour les étudiants et les bourses d’études.

Le programme de subvention de 5000 $ pour l’achat d’un véhicule sans émission est prolongé de deux ans. La facture est évaluée à 607 millions.

Frais de la dette en hausse

Il reste que les frais de la dette accumulée continueront d’augmenter au cours des prochaines années. Ces frais vont passer de 54,1 milliards cette année à 64,3 milliards en 2028-2029.

Depuis leur arrivée au pouvoir, les libéraux de Justin Trudeau n’ont jamais présenté un budget équilibré. La dette accumulée est passée de 628 milliards à plus de 1213 milliards.

« Ce budget est pire que ce à quoi on s’attendait. Le gouvernement utilise une mesure bazooka sur le gain en capital pour financer des dépenses encore extraordinaires qui ne sont pas soutenables à long terme. C’est un budget qui va rendre l’investissement privé moins attrayant dans l’économie. On va exacerber le problème de productivité au Canada », a affirmé Robert Asselin, qui a conseillé Paul Martin et l’ex-ministre des Finances Bill Morneau et qui est aujourd’hui premier vice-président au Conseil canadien des affaires.

Dans le budget, le gouvernement Trudeau annonce son intention de « faire correspondre les niveaux d’immigration à la capacité de loger les gens ». À compter de l’automne, Ottawa compte ainsi inclure pour la première fois les admissions de résidents permanents et les admissions de résidents temporaires dans le Plan des niveaux d’immigration.

Une source gouvernementale a toutefois précisé que le gouvernement allait s’attarder à réduire le nombre des immigrants temporaires que sont les étudiants étrangers, les travailleurs temporaires et les demandeurs d’asile. Ainsi, l’objectif d’accueillir 500 000 résidents permanents par année à compter en 2025 demeure inchangé.

Ils ont dit

PHOTO PATRICK DOYLE, REUTERS

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur

Justin Trudeau dépensera plus en frais d’intérêt qu’en soins de santé. Plus d’argent pour les banquiers que pour les infirmières. Il n’en vaut pas le coût.

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

C’est un budget sur le dos du Québec, une démonstration claire des dommages que le déséquilibre fiscal et le pouvoir de dépenser combinés peuvent faire contre la capacité des Québécois à gérer eux-mêmes leur propre société. […] C’est un budget de promesses électorales qui ne sert que Justin Trudeau, son maintien au pouvoir immédiat par le NPD et ses visées électoralistes en 2025.

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois

PHOTO JUSTIN TANG, LA PRESSE CANADIENNE

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

Ottawa peut faire beaucoup plus pour faciliter la vie des gens. Justin Trudeau a eu neuf budgets pour améliorer la vie et la rendre plus abordable, mais les Canadiennes et Canadiens sont toujours à la traîne.

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique