(Ottawa) Une motion néo-démocrate sur Israël et Gaza pourrait coûter aux libéraux l’un des leurs : le député Anthony Housefather réfléchit à son avenir au sein du Parti libéral, au lendemain de l’adoption de la motion amendée à la onzième heure par le leader du gouvernement en Chambre, Steven MacKinnon.

L’élu était visiblement mécontent, lundi soir, lorsque 14 amendements libéraux ont été présentés sans crier gare, à l’issue de plusieurs heures de débats à la Chambre des communes.

Il se dit maintenant en « période de réflexion ».

« Le vote d’hier [lundi] soir a été un moment très difficile pour moi », a-t-il laissé tomber en mêlée de presse.

« Je pense que c’est la première fois dans ma carrière parlementaire que j’ai une réflexion comme celle-là. J’ai vraiment senti, hier soir, qu’une ligne avait été franchie », a ajouté le député.

Il a été particulièrement secoué en voyant ses collègues se lever pour ovationner Heather McPherson, qui a porté la motion pour le Nouveau Parti démocratique (NPD).

« Je me suis demandé si j’étais à ma place », a-t-il lâché.

Les amendements mis de l’avant à la dernière minute ont permis aux libéraux et aux néo-démocrates de trouver « un terrain d’entente », comme l’a qualifié la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly.

La manœuvre a fortement déplu à Anthony Housefather et au Parti conservateur.

« Arriver cinq minutes avant la fin du débat avec un amendement que personne n’a vu, personne n’a étudié ou débattu et c’est du mauvais parlementarisme », a reproché l’élu de Mont-Royal.

Invité à dire pour quelle raison les amendements n’ont pas été distribués aux élus avant d’être révélés, mardi, Steven MacKinnon a répondu que c’était simplement parce que les négociations étaient en cours.

Il n’a pas voulu dire depuis combien de temps les deux camps étaient en pourparlers au sujet de cette motion, dont le contenu était du domaine public depuis le 1er mars dernier.

Selon nos informations, les négociations remontent à la fin de semaine dernière, et la ministre Joly a joué un rôle central dans la conclusion du pacte, lundi.

PHOTO SEAN KILPATRICK, LA PRESSE CANADIENNE

La ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly

« Elle a passé la journée à courir entre le lobby libéral, le lobby néo-démocrate, et le bureau du premier ministre », relate une source libérale qui a demandé l’anonymat, n’ayant pas l’autorisation de parler ouvertement des tractations.

Deux autres députés libéraux, Ben Carr et Marco Mendicino, ont voté contre la motion.

S’ils n’ont pas caché leur déception face à la tournure des évènements, ils ont néanmoins dit ne pas envisager de changer de camp.

La ministre libérale Ya’ara Saks, de confession juive, a quant à elle appuyé la proposition édulcorée.

« Je défendrai toujours la position du Canada et ma position, selon laquelle une solution à deux États est le meilleur moyen de garantir la sécurité d’Israël aux côtés d’un État palestinien », a-t-elle insisté.

L’élue torontoise a spécifié que la motion d’origine était « inacceptable ».

Fin de l’envoi d’armes à Israël ?

La motion au cœur de cette affaire été considérablement modifiée.

Il a été conclu, en particulier, de retirer le passage sur la reconnaissance de l’État palestinien, mais également de « cesser l’approbation et le transfert d’autres exportations d’armes à destination d’Israël ».

Le gouvernement canadien a mis en veilleuse le 8 janvier dernier la délivrance de licences d’exportation de matériel militaire non létal destinées à Israël.

Ce qui est nouveau, c’est le mot « transfert », souligne une source néo-démocrate qui s’est exprimée sous le couvert de l’anonymat, n’étant pas autorisée à discuter publiquement de l’enjeu.

« Selon notre compréhension, “transfert” signifie que les armes qui devaient être envoyées en vertu de contrats existants ne le seront pas », indique cette source.

En même temps, « la motion est non contraignante, ce n’est pas une législation », nuance cette même personne bien au fait du dossier.

Le bureau de la ministre Joly n’a pas offert de précisions à ce sujet, mardi.

On ignore donc quelles sont les intentions du gouvernement – par exemple, s’il s’agit de matériel militaire létal ou non létal, ou si des contrats déjà conclus sont en péril.

Il y a quelques jours, l’entreprise ontarienne Roshel, disait attendre un verdict d’Ottawa depuis « plus de trois mois » pour exporter vers Israël ce qu’elle appelle des « véhicules de transport » Senator.

Un contrat a été conclu avec le gouvernement israélien pour l’expédition de ces véhicules blindés, d’après le PDG de l’entreprise, Roman Shimonov.

Le passage de la motion a ulcéré l’ambassadeur de l’État hébreu au Canada, Iddo Moed. En entrevue avec le Globe and Mail, mardi, le diplomate a soutenu que cela minait la capacité d’Israël à se défendre.

La motion a été adoptée à 204 voix contre 117. Les bloquistes ont voté pour, tandis que les conservateurs s’y sont opposés en bloc.

Dans sa mouture initiale, elle aurait probablement été défaite, a convenu la source néo-démocrate.