(Québec) Pierre Fitzgibbon maintient que le projet de méga-usine de Northvolt n’a pas eu droit à un traitement de faveur pour éviter un examen du BAPE, malgré les déclarations de son collègue à l’Environnement qui affirme que le projet aurait déraillé s’il avait dû se soumettre à l’exercice.

Ce qu’il faut savoir

  • En entrevue à La Presse la semaine dernière, le ministre de l’Environnement, Benoit Charette, a affirmé que le projet d’usine de Northvolt n’aurait pas vu le jour au Québec s’il avait été soumis à un examen du BAPE parce que cela aurait prolongé le processus de 18 mois.
  • Malgré ces révélations, le ministre Pierre Fitzgibbon maintient que Northvolt n’a pas eu de passe-droit environnemental pour éviter la tenue d’un BAPE.
  • Le ministre Fitzgibbon explique les modifications réglementaires en raison de la création de la filière batterie au Québec.

Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie a néanmoins reconnu que le gouvernement Legault « aurait dû être plus clair » sur le processus environnemental auquel sera soumise l’entreprise suédoise pour construire une usine de cellules de batterie en Montérégie.

« Les règles du BAPE n’existaient pas dans la filière batterie », s’est défendu le ministre en entrevue avec La Presse, lundi. Il a réaffirmé qu’il est « faux » de prétendre que Québec « a changé les règles pour accommoder » Northvolt.

« C’est qu’il n’y avait pas de critères, pas de connaissance de l’industrie des batteries. […] Les règles du BAPE pour l’automobile, c’était pour les carburateurs, ce n’était pas relié », a plaidé M. Fitzgibbon.

Or, dans une tournée d’entrevues la semaine dernière, son collègue Benoit Charette, ministre de l’Environnement, a révélé que Northvolt n’aurait pas fait du Québec sa terre d’accueil si l’entreprise avait été soumise à un examen complet du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE).

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette

« Si moi, j’avais dit [aux dirigeants de] Northvolt à l’époque qu’un BAPE, ça nous amène dans 18 mois avant de pouvoir leur donner une idée de ce qui serait possible, on n’aurait pas eu de projet au Québec. C’est aussi simple que ça », a dit M. Charette à La Presse1.

Une deuxième modification réglementaire

La Presse révélait au même moment que dans le cadre d’une modification réglementaire, en avril 2023, Northvolt a aussi demandé à Québec de relever un deuxième seuil, concernant la capacité annuelle de production de batteries.

Le gouvernement de François Legault prévoyait le fixer à 30 gigawattheures (GWh), alors que l’entreprise suggérait 40 GWh. Québec a finalement écarté ce seuil de réglementation, se disant incapable d’évaluer le risque réel.

Il y a eu des consultations [du ministère de l’Environnement] qui ne se sont pas avérées concluantes.

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie

Cela s’ajoute aux nouvelles exigences propres à la fabrication d’équipement de stockage d’énergie, qui prévoient désormais une évaluation du BAPE pour tout projet dépassant une production annuelle de 60 000 tonnes. Northvolt prévoit une production annuelle de 56 000 tonnes.

Avant la modification, entrée en vigueur en juillet 2023, le projet de Northvolt aurait été visé par la réglementation sur la fabrication de produits chimiques, prévoyant que tout projet dépassant une production annuelle de 50 000 tonnes devait se soumettre à une évaluation du BAPE.

« Il y a eu l’insinuation qu’on a augmenté un seuil de [50 000 à 60 000 tonnes de production annuelle] pour arriver à 56 000 [pour Northvolt], mais c’est vrai pour toute la filière batterie », a nuancé M. Fitzgibbon, qui a cité les projets de GM-POSCO et de Ford-EcoPro.

« Les règles environnementales sont respectées », soutient-il. « Ce qui me désole, c’est qu’avec le fait qu’il n’y ait pas de BAPE, il y a des gens qui [nous] prêtent l’intention de dire qu’on va permettre des choses qui ne sont pas acceptables au niveau écologique, ce qui n’est pas le cas. »

Les normes vont rester les mêmes, la façon de s’y rendre va être différente.

Pierre Fitzgibbon, ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie

Par ailleurs, au cabinet du ministre, on maintient qu’il n’est pas certain que le projet de l’usine de Northvolt aurait été soumis à une évaluation du BAPE si le seuil de 50 000 tonnes avait été maintenu. « On a créé des règles pour une filière qui n’existait pas », a affirmé le directeur des communications, Mathieu St-Amand.

Le ministre est aussi revenu sur son « déjeuner » avec le président-directeur général de Northvolt pour l’Amérique du Nord, Paolo Cerruti, le 6 février 2023, avant que l’entreprise soit inscrite au registre des lobbyistes. Deux semaines plus tard, le 22 février, Québec déposait son projet de modification réglementaire.

« Il y avait trois, quatre juridictions qui compétitionnaient pour le projet », explique le ministre. « Je suis allé déjeuner […] pour le convaincre de rester au Québec. De penser ou d’insinuer […] qu’on avait voulu soustraire [le projet] aux règles du BAPE, je trouve ça désolant », plaide-t-il.

Meilleure communication

Bien qu’il se défende d’avoir quoi que ce soit à se reprocher dans le dossier de Northvolt, M. Fitzgibbon admet que son gouvernement aurait pu « mieux communiquer » dès le départ.

Il se réjouit néanmoins que « les militants et les gens qui sont plus soucieux » de l’environnement « critiquent le gouvernement » et non l’entreprise. « La pression est rendue sur nous autres, ce n’est pas grave. Moi, je suis de passage. Le projet va se faire, ça va être un bon projet », dit-il.

Au cours des dernières semaines, Pierre Fitzgibbon s’en est également pris ouvertement aux « journalistes militants », qu’il accuse de désinformation au sujet du projet d’usine de Northvolt.

Avec la collaboration d’Henri Ouellette-Vézina et de Jean-Thomas Léveillé, La Presse

1. Lisez « Méga-usine de Northvolt : “On n’aurait pas eu de projet” avec un BAPE, affirme Benoit Charette »