VIA Rail Canada aura besoin de milliards de dollars du gouvernement fédéral pour remplacer ses trains de longues distances, qui arriveront à leur fin de vie utile d’ici 2035. La société d’État craint de devoir procéder à des coupes majeures dans le service si rien n’est fait.

« Toutes les voitures que vous voyez ici ont fait l’équivalent de 195 fois le tour du monde. C’est énorme. Elles sont rendues très proches de leur retraite », lance le directeur des communications de l’organisation ferroviaire, Jean-Vincent Lacroix.

Son groupe avait convié jeudi les journalistes à une très rare visite médiatique de son centre d’entretien montréalais, situé dans le quartier Pointe-Saint-Charles. L’objectif était clair : démontrer que le remplacement des équipements de longue distance presse, et qu’il faut s’y attarder rapidement pour éviter le pire. « 2024 sera une année très importante et même déterminante pour nous », dit M. Lacroix.

À ce jour, la fin de vie utile de ces trains est fixée à 2035, mais plusieurs d’entre eux sont déjà en piteux état. « Depuis 2019, on est passés de plus de 200 voitures à environ 175. C’est 25 voitures qu’on a dû mettre au rebut. Ça a réduit notre capacité et nous a obligés à couper dans certains services, surtout dans l’Ouest canadien », dit le vice-président des services mécaniques de VIA Rail, André Bouchard.

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André Bouchard

Selon lui, cette tendance à la baisse va forcément se poursuivre, d’où l’urgence d’agir. « Nos employés d’entretien font des petits miracles au quotidien pour maintenir les équipements viables […], mais on devrait tout de même voir une décroissance dans les prochaines années », note M. Bouchard.

La plupart des trains de longue distance ont été construits entre 1946 et 1955 ; ils ont donc déjà cumulé entre 69 et 79 années d’existence. Ce sont ces wagons qui relient notamment Halifax à Québec, puis Toronto à Vancouver. Ils desservent aussi des tracés régionaux, comme Winnipeg-Churchill ou encore Montréal-Senneterre, dont la fréquence risque d’être fortement affectée lors des prochaines années.

Aux États-Unis, l’âge moyen des trains équivalents du transporteur Amtrak est de 34 ans. En France, à Société nationale des chemins de fer français, ce chiffre est même de 16 ans.

Course contre la montre

La société ferroviaire demande donc au gouvernement fédéral et à Transports Canada de lancer rapidement un appel d’offres pour l’approvisionnement. Une fois lancé, le remplacement de l’ensemble des trains devrait prendre au moins dix ans avant d’être complété.

« Plus on va attendre, plus les impacts vont aller en augmentant. Et si c’est le statu quo […] ce sera la fin des trajets longues distances », se désole M. Lacroix, qui y voit un danger pour les régions éloignées et les communautés autochtones, qui comptent sur ce service pour se déplacer au quotidien.

On ignore encore combien coûtera cette vaste opération de remplacement, mais il est acquis qu’elle coûtera au moins quelques milliards de dollars. Dans le corridor Québec-Windsor, les nouveaux trains ont coûté environ 1,5 milliard, sur une échelle de 1500 kilomètres, alors que le réseau qui est ici à couvrir totalise environ 10 000 kilomètres.

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André Bouchard et Jean-Vincent Lacroix

Chez Transports Canada, on assure que des analyses sont en cours pour « assurer la pérennité » des trains à longue fréquence. L’agence « continuera d’étudier les options visant à améliorer les fréquences et la ponctualité des services ferroviaires, et à réduire les temps de déplacement dans les autres régions du pays », a assuré jeudi le porte-parole, Hicham Ayoun.

Ottawa rappelle que des nouveaux trains doivent déjà s’ajouter dans les prochains mois à la flotte de VIA Rail, mais seulement dans le corridor Québec-Windsor. Les modèles Venture, qui rouleront dans ce corridor situé au sud, ont d’ailleurs déjà commencé à être livrés. « Nous sommes rendus à 13 nouveaux trains reçus, dont dix sont déjà en opération, sur un total de 32. La totalité devrait être reçue d’ici 2025 », a mentionné M. Lacroix jeudi, en marge de la visite.

Des sommes sont aussi déjà sécurisées pour le futur train à grande fréquence (TGF), au nord du fleuve, mais rien n’est encore à ce jour garanti pour les appareils longue distance. Plus tôt cette semaine, Martin Imbeau, qui dirige la filiale de VIA Rail responsable du TGF, a laissé entendre que de voyager en train entre Montréal et Toronto en trois heures, voire moins, pourrait être envisageable.

L’appel d’offres de ce projet multimilliardaire a été lancé en septembre dernier. En plus du scénario de référence, dans lequel les trains circuleraient à des vitesses de pointe d’environ 200 km/h sur des voies ferroviaires réservées aux passagers, les trois consortiums retenus doivent proposer une version plus ambitieuse avec une réduction des temps de trajet.

Avec Julien Arsenault, La Presse