(Ottawa) Six mois après avoir été éjecté du cabinet, l’ancien ministre de la Justice David Lametti annonce son départ de la vie politique.

Le député québécois a avisé ses collègues de caucus qu’il ne serait plus des leurs dès le jeudi 1er février prochain.

Le juriste de formation se joindra à la firme d’avocats Fasken Martineau Dumoulin, où il se concentrera sur les enjeux de droit autochtone et de droit de la technologie.

« Je crois sincèrement que mes électeurs seront mieux servis », plaide l’élu de LaSalle–Émard–Verdun dans une entrevue accordée avant son annonce.

« D’une certaine manière, c’est plus difficile de rester efficace en tant que député après avoir été ministre », ajoute-t-il.

Ministre, il l’a été du 14 janvier 2019 au 26 juillet 2023, c’est-à-dire jusqu’à ce que Justin Trudeau le dépossède du portefeuille de la Justice.

Ce fut l’une des surprises de ce remaniement estival, qui survenait après un printemps de misère pour les libéraux.

Encore aujourd’hui, il peine à comprendre ce qui a pu lui coûter son poste, au-delà du fait que le premier ministre voulait « un changement de visage pour le gouvernement ».

Oui, David Lametti a rencontré son patron la veille du jeu de chaises musicales qui allait se jouer à Rideau Hall.

Mais « c’était court », lance-t-il en réprimant un petit rire, et « [il n’a] jamais eu de raison particulière [pour le congédiement] », précise-t-il.

« C’est frustrant, concède celui qui a été élu pour une première fois en 2015. Je crois que mon bilan était parmi les meilleurs. Je n’ai pas fait de gaffe, rien du genre. »

Le premier ministre a offert à David Lametti le poste d’ambassadeur du Canada en Espagne. Le principal intéressé a décliné.

Un bilan et des inquiétudes

On le sent, l’ex-ministre de la Justice et procureur général tient à défendre le bilan de ses années passées comme titulaire de ce portefeuille, un « rêve » pour tout juriste.

« Je suis très fier. J’ai fait adopter 13 projets de loi très importants », argue-t-il.

Il cite celui sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (C-15), et celui sur la réforme des peines minimales obligatoires (C-5), entre autres.

Ce que l’avenir réserve à ces enjeux tracasse l’ancien professeur de droit de l’Université McGill, qui se décrit comme « l’un des ministres les plus progressistes » des libéraux.

Dans le premier cas, il entrevoit des obstacles sur le chemin vers la réconciliation : « Je crois que les engagements vont ralentir pour des raisons budgétaires et politiques. »

Dans le second cas, il redoute ce qu’un gouvernement Poilievre mettrait de l’avant, sous le couvert d’une orientation de loi et d’ordre.

« Ça me frustre juste d’en parler ! C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai fait le saut en politique ; j’étais enragé par les positions idéologiques du gouvernement Harper », dit-il.

La Cour suprême du Canada a invalidé une série de ces peines minimales obligatoires.

Nominations : la faute au bureau du premier ministre

Le gouvernement Trudeau n’a pas pour autant été épargné par les critiques du plus haut tribunal au pays – en particulier de son juge en chef, Richard Wagner.

Ce dernier a fait part, dans une lettre écrite en mai dernier, de sa « grande inquiétude » au sujet de la pénurie de juges au pays, a d’abord rapporté Radio-Canada.

Si la missive était adressée au premier ministre, David Lametti figurait aussi parmi ses destinataires.

« Les ralentissements n’étaient pas dans mon bureau. Je ne [pouvais] pas contrôler ce qui se [passait] dans le bureau du premier ministre », tranche celui-ci.

Des ajustements ont été apportés au processus de nomination depuis, et il reviendra au nouveau ministre de la Justice, Arif Virani, d’y voir.

Une partielle dans les prochains mois

De son côté, le député sortant de LaSalle–Émard–Verdun se consacrera à ses nouvelles activités, dans un autre cabinet, d’avocats celui-là.

Le premier ministre aura au maximum six mois, dès lors que le président de la Chambre sera avisé de la vacance du siège, pour déclencher une élection partielle.

Lors des trois derniers scrutins, David Lametti y a remporté des victoires décisives, avec plus de 40 % des voix.

Avant lui (et un redécoupage électoral), les électeurs s’étaient toutefois laissé porter par la vague orange de 2011.

La circonscription pourrait-elle changer de main, et faire subir à Justin Trudeau un revers comme celui qu’a encaissé son homologue québécois François Legault dans Jean-Talon ?

« On verra, répond le député libéral sortant. C’est une circonscription très dynamique, et il ne manquera pas de candidats. »

On n’en est toutefois pas là : selon l’agrégateur de sondages 338Canada, les chances de l’emporter, pour les libéraux, étaient de 99 % en date du 7 janvier 2024.