(Ottawa) Nathalie Provost n’a toujours pas le sentiment d’avoir fait une différence – du moins pas celle qu’elle souhaitait – même si le projet de loi C-21 sur le contrôle des armes à feu a obtenu la sanction royale vendredi. Cette survivante du féminicide de Polytechnique est passée par toute la gamme des émotions en 2023.

Ce qu’il faut savoir

Le controversé projet de loi C-21 sur le contrôle des armes à feu a obtenu la sanction royale vendredi après avoir été adopté par le Sénat.

Il rend illégales l’importation ou la fabrication d’armes d’assaut, mais n’interdit pas celles qui sont déjà en circulation, comme le demandait PolySeSouvient.

Le gouvernement Trudeau promet de renforcer cette interdiction par décret et de rétablir le Comité consultatif canadien sur les armes à feu afin d’exclure les armes utilisées pour la chasse.

« C’est une très belle avancée, mais ce n’est pas fini », constate-t-elle en entrevue.

La loi C-21 pérennise le gel des armes de poing, déjà en vigueur par décret depuis octobre 2022. Il instaure des mesures « drapeau rouge » et « drapeau jaune » qui permettront à quiconque de demander au tribunal de confisquer des armes à feu par mesure de sécurité ou de suspendre le permis du titulaire, protégeant ainsi les victimes de violence conjugale. Les peines maximales pour la contrebande et le trafic d’armes passent de 10 à 14 ans d’emprisonnement et de nouvelles infractions liées à la fabrication d’armes fantômes à partir d’imprimantes 3D sont ajoutées au Code criminel.

Mais l’interdiction des armes d’assaut ne va pas assez loin, selon elle. La définition ajoutée à la loi, après des négociations avec le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois, rend illégales l’importation ou la fabrication de ces armes de style militaire, mais n’interdit pas celles qui sont déjà sur le marché. Elle est donc partielle et non totale.

« Ça fait 34 ans, et la première demande, c’était l’interdiction des armes d’assaut. Je vois encore l’affiche avec toutes les balles, et plus jamais », se remémore-t-elle avec tristesse.

C’était en janvier 1990, un mois après la tuerie du 6 décembre 1989, qui avait coûté la vie à 14 femmes. L’Association des étudiants de Polytechnique avait organisé une conférence de presse pour présenter une pétition de plus de 70 000 noms. Nathalie Provost avait pris la parole pour inciter les gens à la signer. « Il ne faut pas oublier le passé », disait-elle alors que les étudiants de Polytechnique s’apprêtaient à reprendre leurs cours.

Continuer d’avancer

Heidi Rathjen, une autre survivante qui milite depuis des décennies pour le contrôle des armes à feu, était présente elle aussi.

C’est donc le travail d’une vie qu’elles ont vu s’envoler lorsque le gouvernement Trudeau a reculé en partie sur l’interdiction des armes d’assaut au mois de mai. Nathalie Provost n’avait pas mâché ses mots. « Je suis extrêmement en colère, extrêmement déçue et je me sens trahie », avait-elle déclaré dans une petite salle du parlement destinée à la presse. Le lendemain, elle avait même affirmé au Globe and Mail que le premier ministre Justin Trudeau ne serait pas le bienvenu à la commémoration annuelle des victimes du massacre de Polytechnique. Les familles représentées par PolySeSouvient ne souhaitaient pas sa présence après cette promesse brisée. Elles se sont ravisées six mois plus tard lorsque le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, s’est engagé à interdire les armes de style militaire en circulation au cours de la prochaine année.

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau, le 6 décembre dernier, lors de la cérémonie de commémoration de la tuerie de Polytechnique

« Avec un pas de recul, on s’est dit qu’il faut continuer d’avancer parce que de toute façon, il faut arriver au bout de quelque chose qui se tient avant la prochaine élection », explique-t-elle.

Il nous reste encore à fermer la boucle. Depuis l’abolition du registre des armes à feu, on n’a jamais eu un projet de loi aussi fort. Ça a pris huit ans, depuis l’élection de 2015. C’est notre quatrième ministre de la Sécurité publique.

Nathalie Provost, de PolySeSouvient

Elle dit avoir eu l’oreille attentive de Marco Mendicino, le parrain du projet de loi en 2022, contrairement à l’un de ses prédécesseurs Ralph Goodale, qui « n’était pas intéressé ».

Pour éviter une tuerie

PolySeSouvient craint qu’un éventuel gouvernement conservateur ne puisse défaire trop facilement cette loi qui déplaît au lobby proarmes. La Coalition canadienne pour le droit des armes à feu accuse le gouvernement de cibler les propriétaires légitimes, comme les chasseurs, et de ne pas s’attaquer au problème d’armes à feu illégales.

La SKS, une arme de style militaire fréquemment utilisée par les chasseurs et par les Autochtones, se retrouvait sur la liste d’armes prohibées que le gouvernement voulait interdire avant qu’il ne décide de retirer cette liste du projet de loi.

Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, a promis de renforcer l’interdiction des armes d’assaut déjà en circulation avec un nouveau décret et de lancer un programme de rachat pour indemniser les propriétaires qui devront s’en départir. Il rétablira le Comité consultatif canadien sur les armes à feu afin d’exclure les armes utilisées pour la chasse. Un décret adopté en 2020 en interdit déjà plus de 2000 modèles et leurs variantes. PolySeSouvient voulait en ajouter 482.

Si on réussit à faire fonctionner le programme de rachat obligatoire et que les règlements font qu’il n’y a pas d’échappatoires, on va avoir fait un maudit bon pas par en avant.

Nathalie Provost, de PolySeSouvient

Le ministre Dominic LeBlanc compte également bannir par règlement les chargeurs à haute capacité facilement modifiables.

« Quand tu n’as plus de chargeur à haute capacité, ça devient difficile de tuer six, sept, huit personnes en dix minutes, fait valoir Nathalie Provost. Dix-neuf minutes, Polytechnique. Dans ma classe, c’est fou comment c’est allé vite. Il a vidé un chargeur de 30 balles sur nous. »

Et c’est là le cœur de son engagement. Éviter une autre tuerie de masse.