(Ottawa) Un marathon de près de 30 heures s’est terminé à la Chambre des communes vendredi soir. Les conservateurs paralysaient les travaux parlementaires depuis la soirée de jeudi avec plus d’une centaine de votes sur les dépenses du gouvernement Trudeau pour tenter de le forcer à abandonner la taxe sur le carbone.

Ils ont ainsi retardé l’avancement du projet de loi qui permet de mettre en œuvre les mesures contenues dans la dernière mise à jour économique avec 135 votes.

« Durant les 30 dernières heures, les parlementaires des quatre coins du pays se sont tenus debout, ont voté et ont représenté leurs électeurs en focalisant sur leur vision de l’avenir du pays et nous sommes heureux d’arriver éventuellement à la fin de cette période de débat », a déclaré le premier ministre Justin Trudeau à l’issue du dernier vote une vingtaine de minutes après 23 h.

Les conservateurs espéraient que les libéraux finissent par céder à la pression pour ajouter de nouvelles exemptions à la taxe sur le carbone, comme il l’a déjà fait pour les gens qui se chauffent au mazout. Ils lient cette taxe à l’augmentation du coût de la vie même si les Canadiens qui la paient reçoivent un montant compensatoire du gouvernement, plus élevé dans la majorité des cas.

Ce prix sur la pollution instauré par les libéraux en 2018 s’applique dans huit des dix provinces canadiennes. Le Québec et la Colombie-Britannique en sont exempts puisqu’elles ont leur propre système.

Le chef de l’Opposition officielle, Pierre Poilievre, n’était pas en chambre et a voté par voie électronique toute la soirée. C’est le leader adjoint à la Chambre, Luc Berthold, qui a pris la parole. « Le premier ministre a choisi de ne rien faire alors nous serons de retour dès lundi pour continuer cette lutte », a-t-il martelé avant l’adoption en troisième lecture des crédits du gouvernement.

Plus tôt dans la journée, la leader du gouvernement en chambre, Karina Gould, avait accusé le chef conservateur Pierre Poilievre de manquer d’honnêteté. « Ce n’est pas le cas que le prix sur la pollution est la seule cause de l’inflation au Canada », a-t-elle rappelé.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Karina Gould

La taxe sur le carbone contribue seulement à 0,1 % de l’inflation annuellement, selon les projections de la Banque du Canada.

Elle a accusé M. Poilievre d’avoir recours à des tactiques dignes des républicains au sud de la frontière. « Il tente de créer le même genre de dysfonctionnement dans notre pays qu’on voit de politiciens de l’extrême droite aux États-Unis », a-t-elle soutenu.

La manœuvre fait suite au dépôt de près de 20 000 amendements mercredi alors que s’amorçait l’étude du projet de loi C-50 sur la transition juste au comité permanent des ressources naturelles. La législation vise à protéger la main-d’œuvre du secteur de l’énergie dans la transition vers une économie verte.

Les rappels aux règlements fusaient de toute part mercredi soir lors de la réunion du comité qui est rapidement devenue cacophonique. À un moment, la députée bloquiste Claude DeBellefeuille s’est fait dire de « se la fermer » par le député conservateur Larry Brock.

« Intimidation, mensonges, cris, insultes… Le Canada semble vouloir ça. Pas le Québec, qui a le Bloc », a réagi le chef bloquiste, Yves-François Blanchet sur le réseau social X vendredi.

« Cette stratégie-là est farfelue, n’est pas efficace et on voit que ça a diminué, je pense, la crédibilité de M. Poilievre », a déploré le leader parlementaire du Nouveau Parti démocratique, Peter Julian.

Il a avancé que les heures supplémentaires qui devront être payées au personnel de la Chambre des communes, comme les interprètes et les agents du Service de protection parlementaire, dépasseront le million de dollars, un chiffre qui n’a pas encore été confirmé par l’administration de la chambre.

M. Poilievre avait promis mercredi de « ruiner le Noël de Trudeau tant qu’il n’aura pas aboli la taxe carbone ». Il réclame une exemption pour les agriculteurs, les Premières Nations et les familles.

La nouvelle cheffe de l’Assemblée des Premières Nations, Cindy Woodhouse, qui a été élue jeudi, soutient une demande de révision judiciaire de la taxe sur le carbone par la Cour fédérale.

Les conservateurs accusent également les libéraux d’empêcher l’adoption du projet de loi C-234 qui en est à l’étape finale de la troisième lecture au Sénat. Ce projet de loi conservateur vise à exempter les agriculteurs de la taxe sur le carbone pour le chauffage de leurs bâtiments et le séchage de leur grain. Il avait obtenu l’appui du Bloc québécois, du Nouveau Parti démocratique et du Parti vert à la Chambre des communes.

L’adoption mercredi d’un amendement du sénateur progressiste Pierre Dalphond fait en sorte que le projet de loi privé devra éventuellement retourner à la Chambre des communes pour faire l’objet d’un nouveau débat. Comme il s’agit d’un projet de loi privé et non d’un projet de loi du gouvernement, il tombera tout au bas de la liste, soit au 30rang. Il faudra donc 30 jours de travaux parlementaires avant qu’il fasse l’objet d’une heure de débat et ainsi de suite jusqu’à ce que les députés soient prêts à passer au vote final. Ce délai fait en sorte qu’il pourrait donc ne jamais être adopté.

Avec La Presse Canadienne