(Québec) Face au premier ministre François Legault qui se donne pour mission « d’inverser le déclin du français » et qui multiplie les mesures pour y parvenir, comme celle de doubler les droits de scolarité des étudiants canadiens fréquentant des universités anglophones, une trentaine de chercheurs signent un livre qui répond au « pessimisme et au défaitisme ambiant ». Selon eux, la « vision sombre, monolithique et réductrice » de la vitalité du français freine le déploiement de « pistes d’action constructives » pour mieux protéger la langue officielle du Québec.

Ce qu’il faut savoir

  • Le gouvernement Legault a mis en place un comité interministériel qui propose des mesures pour « inverser le déclin du français ».
  • L’une de ces mesures vise à doubler les droits de scolarité des étudiants canadiens dans les universités anglophones afin de mieux financer le réseau francophone.
  • Dans un livre publié plus tôt ce mois-ci, des chercheurs et spécialistes de la question de la langue déplorent que le discours ambiant occulte les avancées des dernières décennies et ne contribue pas à mettre en place des pistes d’action constructives.

Avec Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise, publié plus tôt ce mois-ci sous la direction des sociologues-démographes Jean-Pierre Corbeil, Richard Marcoux et Victor Piché, les chercheurs reconnaissent le statut fragile du français au Québec, mais s’inquiètent des mesures coercitives qui créent un sentiment d’exclusion chez ceux qui n’ont pas le français comme langue maternelle.

« Si on pense qu’on va freiner le déclin du français en haussant de façon aussi importante les droits de scolarité d’étudiants qui fréquentent les universités anglaises, c’est très mal connaître les dynamiques qui ont une influence sur la situation linguistique au Québec », donne en exemple Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de sociologie de l’Université Laval et chercheur associé à l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone.

Sur ce sujet, il affirme que « ce n’est pas juste en agissant sur les indicateurs linguistiques qu’on va arriver à valoriser le français, c’est plutôt en favorisant une intégration à la société québécoise ». Il voit ainsi d’un bon œil la proposition faite plus tôt ce mois-ci par les recteurs des universités McGill, Concordia et Bishop’s, qui ont proposé de franciser au moins 40 % de leurs étudiants non francophones venant d’ailleurs au Canada et de l’étranger si le gouvernement renonce à sa nouvelle politique tarifaire.

Fabrice Labeau, premier vice-principal exécutif adjoint à McGill, a transmis à La Presse les résultats d’une enquête web menée par l’université du 10 au 12 novembre auprès de 1000 adultes québécois.

Ce sondage indique que les répondants sont divisés concernant la stratégie du gouvernement : 42 % la soutiennent, alors que 39 % s’y opposent. Par contre, une majorité (64 %) « appuie l’adoption par le gouvernement du Québec des initiatives proposées par les universités anglophones », alors que seulement 14 % sont contre.

« Au lieu de fermer les portes du Québec aux étudiants qui viennent d’ailleurs, ce qu’on propose, c’est de les laisser ouvertes et de travailler ensemble pour aider à leur apprentissage du français et qu’ils puissent s’intégrer et rester chez nous. C’est une proposition qui est “win-win” pour tout le monde », estime M. Labeau.

Un déclin relativement récent

Pour mesurer la vitalité du français au Québec, Jean-Pierre Corbeil – qui a déjà été « responsable du programme de la statistique linguistique de Statistique Canada, du contenu linguistique du recensement canadien ainsi que de deux grandes enquêtes nationales sur les minorités de langue officielle au Canada » – constate que l’utilisation du mot « déclin » était à peu près inexistante avant 2017.

Aujourd’hui, tout le monde parle du déclin du français, les principaux acteurs publics vont dire que tous les indicateurs sont au rouge, alors qu’en fait, ce qu’on peut appeler une certaine panique morale, quelque chose qui bouleverse le débat public, est quelque chose qui est relativement récent.

Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au département de sociologie de l’Université Laval

Selon lui, « on a tendance à oublier les progrès quand même significatifs et importants du français au cours des 40 dernières années » en matière de protection du français, notamment la « croissance du français dans l’espace public ». À ce jour, rappelle-t-il, 96 % des travailleurs disent avoir une connaissance du français et l’utilisent au moins régulièrement au travail.

« La langue maternelle n’est plus un critère pertinent pour statuer sur la situation et l’évolution du français », ajoute-t-il dans le contexte où « le régime linguistique québécois porte exclusivement sur l’usage des langues dans l’espace public » et que « la population qui a le français comme langue première apprise durant l’enfance diminue parce que le principal moteur de la croissance de la population québécoise est l’immigration, […] qui est à 70 % composée de personnes qui n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle ».

« Les immigrants qui arrivent au Québec constatent pleinement le contexte sociolinguistique dans lequel ils se trouvent, c’est-à-dire que le français est la langue officielle, mais que l’anglais est omniprésent dans le marché du travail, particulièrement dans la région de Montréal. Valoriser l’usage et la présence du français, ça passe par une francisation, ça passe par les outils qu’on donne aux entreprises », estime M. Corbeil.

Dans une récente conférence qu’il a donnée au cégep anglophone Vanier à Montréal, le professeur à l’Université Laval a constaté que des étudiants qui parlaient français se sentaient exclus, pour toutes sortes de raison, de la francophonie.

« Oui, il y a des préoccupations, [car] il y a eu une croissance de l’unilinguisme en anglais en raison de la forte poussée de l’immigration temporaire au cours des cinq dernières années. Cette croissance de l’unilinguisme doit être un signal d’alarme. [Mais] un dialogue est nécessaire avec la population d’expression anglaise. L’avenir et la survie du français au Québec ne se passeront pas en tassant et en mettant de côté leurs contributions. L’avenir du français doit se faire avec eux », dit-il.

Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise

Le français en déclin ? Repenser la francophonie québécoise

DEL BUSSO ÉDITEUR

364 pages