Si son projet de loi n’est pas adopté avant Noël, la ministre France-Élaine Duranceau croit que les partis d’oppositions devront porter le « fardeau » des locataires en situation d’éviction. Ils rétorquent qu’elle tente d’instaurer un « climat de menace » et qu’elle manque de transparence en refusant de dévoiler l’ensemble des amendements pourtant étudiés par le conseil des ministres.

« Si le projet de loi n’est pas accepté avant le mois de janvier, ils [les partis d’opposition] porteront le fardeau sur leur épaule au moment où les avis de renouvellement de baux vont commencer à rentrer. Ils porteront le fardeau sur leurs épaules qu’on n’est pas là pour protéger les gens qui sont en difficulté », a lancé la ministre responsable de l’Habitation à l’entrée du caucus caquiste.

Mme Duranceau affirme que sa pièce législative comporte « d’excellentes mesures en matière d’évictions », qui permettent des « compensations » plus avantageuses pour les locataires qui se font montrer la porte.

La première mouture du texte législatif hautement attendu dans le contexte de la crise du logement a été déposée à la fin de la dernière session parlementaire, en juin. Elle a suscité la grogne des groupes de défense des locataires en raison d’une disposition qui permettrait aux propriétaires de refuser une demande de cession de bail « pour un motif autre qu’un motif sérieux », un outil important pour lutter contre les hausses de loyer abusives selon ces groupes.

Une pluie d’amendements

La semaine dernière, après une seule séance, l’étude détaillée du projet de loi 31 visant à modifier diverses dispositions législatives en matière d’habitation a été suspendue sous prétexte que la ministre doit présenter une liasse d’amendements : 24 des 38 articles du projet de loi doivent être « réécrits », ont déploré les partis d’opposition. Ils estiment maintenant que la crédibilité de Mme Duranceau est « en jeu ».

La ministre confirme qu’elle élargit de façon notable la portée de son projet de loi. Jeudi, elle expliquait que ces amendements modifient quelques articles, et en ajoutent d’autres. Le projet de loi de juin ne visait que la Société de l’habitation du Québec et le tribunal administratif du logement, alors que les amendements viennent inclure d’autres ministères, comme les Affaires municipales et l’Enseignement supérieur.

Or, elle ne veut pas les présenter en bloc, comme l’exigent les partis d’oppositions. « On veut déposer ça de manière structurée pour que la discussion soit organisée. Moi, je sais où je m’en vais. J’ai une séquence là-dedans », a dit la ministre.

« Climat de menace »

La sortie de la ministre a mis le feu aux poudres. Les élus du Parti libéral, de Québec solidaire et du Parti québécois ont quitté la commission parlementaire pour dénoncer ces propos d’une seule voix.

« Les collègues ne peuvent pas travailler dans un climat de menace. L’arrogance, c’est assez. On veut tous travailler pour éviter les évictions », a dénoncé le libéral Monsef Derraji.

Quant à la question du manque de transparence, le péquiste Joël Arseneau fait un parallèle avec l’étude du projet de loi sur la santé piloté par le caquiste Christian Dubé, qui compte 1200 articles et qui a été étudié par blocs. « Lorsque le ministre Dubé déposait un bloc, les partis d’oppositions faisaient valoir un certain nombre de critiques sur les autres blocs et il devait y travailler. Et lorsque le travail était complété, il déposait les amendements. Il y a une première liasse, une deuxième liasse et une troisième liasse d’amendements », a-t-il expliqué.

Or, la ministre Duranceau « a complété son travail sur les 38 articles » que compte son projet de loi. « Elle refuse sciemment de nous laisser voir l’ensemble du projet de loi. Elle nous tient dans l’obscurité », dit-il.

Les législateurs doivent donc s’improviser une position lorsque chaque amendement est déposé, au compte-gouttes. « C’est un bateau qui n’a aucune destination. On navigue à l’aveugle », déplore le député de Québec solidaire Andrès Fontecilla.

M. Derraji, lui, demande « quel est l’intérêt » de Mme Duranceau de ne pas dévoiler l’ensemble des amendements. Il soupçonne que le travail n’est pas effectué, ou que des points sont toujours en suspend au conseil des ministres.

La ministre a rétorqué que la sortie des partis d’opposition lors de l’étude du projet de loi « manque de respect ». Jeudi après-midi, elle a déposé un premier bloc d’amendements, qui sont davantage techniques.