(Ottawa) Le ministre de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc, soutient que le gouvernement est tout à fait conscient que la lutte au crime organisé et aux violences par armes à feu ne passe pas seulement par son projet de loi C-21.

« Ça fait en sorte que, je crois, ça va réduire le nombre de ces fusils [utilisés dans des meurtres] en circulation, mais ça prend aussi un appui aux polices, aux procureurs. Ça prend des enquêteurs, pas seulement de la GRC, mais [aussi] d’autres forces policières », a dit lundi M. LeBlanc en comparaissant devant un comité sénatorial qui étudie le projet de loi des libéraux de Justin Trudeau.

Il a ajouté que son bureau est en « discussion continuelle » avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC) pour savoir « comment nous pourrons appuyer nos partenaires dans ce sens-là ».

Le ministre a d’ailleurs mentionné que son vis-à-vis provincial au Québec, François Bonnardel, a souligné qu’il aimerait voir plus d’actions du fédéral à la frontière avec les États-Unis.

« Je pense que nous pouvons faire beaucoup plus et nous allons le faire », a ajouté M. LeBlanc.

Plusieurs sénateurs ont pris la parole pour reprocher au gouvernement de ne pas en faire assez, avec son projet de loi C-21, pour lutter contre le trafic d’armes illégales à la frontière et pour mater le crime organisé.

« Ça fait quand même huit ans que le gouvernement [libéral] est au pouvoir puis j’ai comme l’impression qu’il y a une incapacité d’accoucher d’une loi qui aurait un impact significatif sur le crime organisé », a par exemple affirmé le sénateur Jean-Guy Dagenais.

L’ancien policier a évoqué « une meilleure surveillance des frontières, de la chasse aux trafiquants d’armes, des peines exemplaires […] pour ceux qui se font prendre » comme des mesures qui seraient plus efficaces à ses yeux.

« Mais on dirait que l’identification des armes prohibées, c’est comme un genre de cafouillis », a-t-il lancé.

Le sénateur a néanmoins signalé qu’il allait voter en faveur de C-21, bien qu’il éprouve « quand même une déception ».

Des changements réglementaires promis

Le projet de loi, adopté en Chambre en mai dernier, a pour objectif de renforcer le gel des armes de poing mis en place par décret, en octobre de l’an dernier, de même que l’interdiction des armes de type d’assaut décrétée en 2020.

Le C-21 a été amendé pour qu’y soit incluse une définition de ce qu’est une arme de type d’assaut prohibée. La définition technique vise à éliminer les échappatoires du décret de 2020 ayant permis d’interdire environ 2000 modèles et variantes.

Or la définition, qui n’inclut pas de liste des différentes armes prohibées, déplaît au plus haut point à l’organisation militant pour un resserrement du contrôle des armes à feu PolySeSouvient. Le groupe en a contre le fait que l’interdiction ne s’appliquera qu’aux armes qui pourraient faire leur entrée sur le marché sans avoir d’effet sur celles qui s’y trouvent déjà.

Ottawa a toutefois promis de s’attaquer, par voie réglementaire, aux chargeurs à grande capacité « afin d’éliminer les failles et les exemptions qui permettent l’accès à des chargeurs de plus de 5 ou 10 cartouches, respectivement pour les armes d’épaule et les armes de poing », a rappelé M. LeBlanc.

Il a aussi relevé que le gouvernement Trudeau a rétabli l’existence du Comité consultatif canadien des armes à feu afin de s’attaquer aux problèmes de classification des armes. Par exemple, ce comité examinera « de manière indépendante la classification des modèles existants qui tombent sous le coup de la nouvelle définition prospective d’arme prohibée dans le projet de loi C-21 et identifier[a] ceux qui sont qualifiés d’armes à feu de chasse afin de les exclure d’un futur décret qui vise à interdire toutes les armes d’assaut existantes ».

Le fait que M. LeBlanc énonce de la sorte les intentions d’Ottawa en termes de changements réglementaires rassure PolySeSouvient. « Le message du ministre était clair et sans équivoque. Nous nous permettons maintenant d’espérer que le gouvernement donnera suite à sa promesse d’interdire l’ensemble des armes de style militaire en circulation », a déclaré l’organisation représentant les survivants et les membres de la famille de victimes de la tuerie de Polytechnique.

Le ministre LeBlanc a mentionné qu’il devrait rencontrer des représentants de PolySeSouvient bientôt.

D’ailleurs, le sénateur Peter M. Boehm a demandé au ministre s’il compte s’entretenir avec des associations de tireurs sportifs et de chasseurs qui ont aussi un intérêt « valide » sur la façon dont la future loi C-21 sera implantée. Plusieurs se sentent injustement visés par le projet de loi, bien que le gouvernement répète depuis des mois que ce n’est pas le cas.

M. LeBlanc a répondu au sénateur Boehm que « la réponse sans équivoque » à sa question « est ’’oui » ». Une fois que le projet de loi aura reçu l’aval des sénateurs et éventuellement, la sanction royale, le ministre a souligné qu’il restera des discussions à avoir avec ces groupes sur les changements réglementaires et le déploiement d’un programme de rachat, notamment.

Selon Teri Bryant, du Bureau du contrôleur des armes à feu de l’Alberta, le décret de 2020 a déjà « érodé » le marché légal des armes à feu.

« Plusieurs tiennent à peine le coup et certains ont déjà été forcés de fermer [leurs portes] », a-t-elle dit, implorant les sénateurs de faire de proposer des amendements majeurs au projet de loi C-21, qui regorge, à son avis, de lacunes.

Jusqu’à 18 mois pour des règlements

Au chapitre des changements réglementaires promis, la sénatrice Julie Miville-Dechêne a invité le ministre à s’engager à ce que les modifications promises soient en vigueur au plus tard un an après que C-21 aura force de loi. Idéalement, elle aimerait que cela soit le cas dans les six mois.

« Je comprends l’urgence. […] Je serais très déçu si ça nous prend un an », a dit le ministre. Il a ajouté qu’il serait « surpris » si ce dossier n’était pas « bouclé » d’ici là.

Un haut fonctionnaire a par la suite précisé que, en temps normal, le processus réglementaire peut durer jusqu’à 18 mois, c’est donc dire un an et demi.

Talal Dakalbab, sous-ministre adjoint à Sécurité publique Canada, a spécifié que le temps requis dépendra du « type de consultations » et « de la quantité de commentaires que nous recevrons ».

« Moi, j’ai toujours beaucoup de réserves quand j’entends dire qu’il faut adopter une loi et que des règlements suivront, a lancé le sénateur Dagenais. J’aimerais ça qu’on nous fournisse les règlements en même temps que le projet de loi pour éviter les surprises. »

À ce sujet, M. Dakalbab a indiqué que le ministère « n’a pas le choix d’attendre » l’entrée en vigueur de C-21 puisque cela est nécessaire pour avoir « une autorité légale pour développer des règlements ».