Le Canada doit appuyer totalement Israël dans sa lutte contre le Hamas, estime l’ex-premier ministre Brian Mulroney. Au pouvoir pendant près d’une décennie, celui qui s’est démarqué par ses politiques à l’international a accordé une entrevue à La Presse sur le conflit au Moyen-Orient.

Quelle est votre position par rapport à ce qui se passe entre Israël et le Hamas ?

Lorsqu’il y a un conflit armé, il y a lieu de prendre quelques instants pour considérer les nuances. Mais ici, il n’y a pas de nuances. Israël a été envahi par des tueurs à gages du Hamas, des terroristes dévoués à une cause, à un objectif : tuer des Juifs. En conséquence, des bébés de 4 mois ont été assassinés, des hommes, des femmes, des vieillards. C’était pour moi la pire démonstration de ce que les historiens appellent la « haine des Juifs », depuis l’Holocauste. Je considère que le Canada ne peut adopter qu’une position d’appui total à Israël, en plus de mener une campagne de dénonciation de ce groupe criminel.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancien premier ministre du Canada Brian Mulroney

Il s’agit d’un conflit qui fait débat. Avec la population palestinienne civile prise entre deux feux dans la bande de Gaza, on assiste à une souffrance humaine importante de part et d’autre. Pensez-vous que l’appui inconditionnel du Canada à Israël risque de lui nuire à long terme ?

Je reconnais volontiers que c’est une tragédie que le Hamas se serve de la population locale pour se protéger et se cacher. Les dirigeants sont rendus dans les tunnels sur le territoire. Le Hamas est en train de dire à sa population de ne pas partir, d’accepter la mort. C’est ça, le problème. Je déplore énormément ce qui va se passer avec les jeunes [de la bande de Gaza], parce qu’à peu près 50 % de la population est très jeune. Mais ça a été provoqué, quand même, cette attaque.

Quelle est votre position par rapport au siège de la bande de Gaza par Israël, qui empêche l’acheminement d’eau, de carburant et de nourriture ?

C’est une tactique de guerre, une tactique pour forcer les gens de Gaza à quitter le Nord avant l’intervention israélienne. C’est déplorable, tout ça est déplorable, mais ça fait partie d’un effort de l’État d’Israël pour trouver les dirigeants du Hamas et leur régler leur compte une fois pour toutes. On ne peut pas vivre à côté d’une organisation comme le Hamas, qui est financée par des étrangers et dont le but est de tuer les Juifs.

Quel est le rôle du Canada ? Que peut-il faire pour tenter d’avoir une influence sur ce conflit qui pourrait s’étendre à d’autres régions du Moyen-Orient ?

Le Canada n’a pas une influence énorme dans la région. [La ministre des Affaires étrangères] Mélanie Joly est en train de faire ce que le Canada doit faire. Elle fait du bon travail en étant dans la région et en organisant le rapatriement des citoyens canadiens. Le Canada a un rôle très modeste à jouer, mais je pense qu’elle le joue bien.

Vous avez vécu plusieurs périodes tumultueuses en politique internationale quand vous étiez au pouvoir. Si vous étiez aux commandes en ce moment, qu’est-ce que vous feriez de différent ?

Je ne suis pas premier ministre. Ça fait 30 ans que je ne suis plus premier ministre. Ce sera à ceux qui sont en fonction de prendre le leadership. Si j’étais premier ministre, je ferais quelque chose. C’était mon style. Avec [Nelson] Mandela, puis avec la réunification de l’Allemagne, puis avec la création du Sommet de la francophonie, puis l’ALENA. J’étais connu comme un premier ministre qui bougeait. Maintenant, dans ce territoire, dans ce problème-là, qui est très, très délicat, il y a un grand acteur à part Israël : les États-Unis. Et les États-Unis ont réagi un peu comme je viens de vous dire. Ce n’est pas une position pro-Israël. C’est une position humanitaire. Humaniste.

Selon vous, le Canada doit entretenir des liens étroits avec les États-Unis pour avoir de l’influence ?

Oui, c’est le facteur principal. Un premier ministre canadien qui n’est pas collé sur les Américains, sur le président, avec une influence certaine, n’ira pas loin au niveau international. Ce sont nos alliés normaux, nos voisins et meilleurs amis. On a un accès privilégié à la Maison-Blanche, il faut s’en servir. Je peux vous garantir que quand j’étais là, je m’en servais. J’ai travaillé à bâtir des relations amicales et fortes, avec le président Reagan, puis Bush, puis Clinton. Au niveau international, sans ça, c’est difficile pour le Canada de naviguer.

Pourtant, dans certains dossiers, vous vous étiez éloigné de la position américaine, notamment sur l’apartheid en Afrique du Sud, ou sur le Nicaragua…

Oui, souvent ! Au sujet de Cuba, de l’Amérique centrale, même dans le cas de Nelson Mandela [en Afrique du Sud], j’avais des divisions profondes avec [Ronald] Reagan et [Margaret] Thatcher. Une amitié solide sur les grandes questions d’actualité, ça ne veut pas dire qu’on suit les Américains. Au contraire, le premier ministre du Canada doit toujours être motivé par l’intérêt national des Canadiens. Point à la ligne.

Certaines réponses ont été synthétisées par souci de concision et pour faciliter la lecture.

Qui est Brian Mulroney ?

Brian Mulroney a été premier ministre du Canada, à la tête du Parti progressiste-conservateur, de 1984 à 1993. Il était notamment au pouvoir lors de la dissolution de l’URSS, pendant la guerre du Golfe et au moment de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud. Il a pris position contre l’apartheid, rompant avec la position américaine et britannique de l’époque. Parmi son bilan en matière de politique internationale, il a conclu l’accord de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique (ALENA). Il a par ailleurs négocié l’accord sur les pluies acides avec les États-Unis.