(Québec) Quatre ans après avoir terminé un travail de session qui a mené à la rédaction d’une pièce législative pour lutter contre l’obsolescence programmée, des étudiants en droit, maintenant avocats, se réjouissent de voir que le gouvernement Legault s’est emparé de cette idée en déposant son projet de loi.

« On a vraiment pu avoir un impact, notre travail a été pertinent, et c’est très gratifiant et encourageant de voir ça. Ça rallie tout le monde, et c’est ce qu’on avait vu dès le début du projet », lance Jade Racine.

PHOTO ANNE GAUTHIER, ARCHIVES LA PRESSE

L’obsolescence programmée se traduit notamment par la réduction volontaire de la durée de vie des objets par les fabricants.

Elle est l’une des anciennes étudiantes qui ont participé à ce travail « colossal » dans le cadre d’un cours du baccalauréat en droit de l’Université de Sherbrooke.

« On ne s’attendait absolument pas à ce que ça prenne cette proportion quand on a commencé ça dans la salle de cours », ajoute un autre ex-étudiant, Guillaume Bourbeau, en riant.

En 2019, leur chargé de cours, Jonathan Mayer, avait lancé un défi à sa cohorte de 51 étudiants : écrire un projet de loi pour lutter contre l’obsolescence programmée, soit la réduction volontaire de la durée de vie des objets par les fabricants, et l’impossibilité ou la grande difficulté de les réparer.

PHOTO MARTIN BLACHE, UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

Jonathan Mayer, chargé de cours à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke

Le défi a été relevé, et le projet de loi 197 sur l’obsolescence programmée a été déposé à l’Assemblée nationale en avril 2019 par le député indépendant Guy Ouellette. L’idée a ensuite été reprise dans la législature actuelle par la députée libérale Marwah Rizqy.

Inspiration

Mais, cerise sur le gâteau, le 1er juin, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déposé sa propre version du projet de loi, avec la ferme intention de l’adopter, et a souligné le « travail sérieux » des étudiants.

Au cours des dernières années, le sujet de l’obsolescence programmée et la durabilité des biens est régulièrement revenu au premier plan. Nombreux sont ceux qui se sont questionnés sur la ou les meilleures façons d’agir sur cet enjeu.

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice

« Plusieurs se sont lancés, y sont allés de propositions, donnant assurément naissance à de bonnes pistes de réflexion, a affirmé le ministre Jolin-Barrette. Je pense ici, notamment, aux étudiants de l’Université de Sherbrooke qui ont contribué à la rédaction d’un tout premier projet de loi sur l’obsolescence programmée qui avait été déposé ici, à l’Assemblée nationale. »

Le ministre veut mettre des bâtons dans les roues des fabricants tentés d’offrir des produits de moins bonne qualité afin de s’assurer que les consommateurs sont obligés de les renouveler prématurément en renversant le fardeau qui est présentement celui des acheteurs, avec le principe de garantie légale.

M. Mayer se félicite de cette « approche pédagogique novatrice », et est très heureux de voir que « des étudiants peuvent avoir des retombées autres que strictement académiques ». Il se dit très fier de réaliser que leur initiative « a contribué à changer un peu le droit de la protection du consommateur du Québec ».

Les bons outils

Jade Racine et Guillaume Bourbeau soulignent également que leur fierté de voir que le « chemin » qu’ils ont emprunté pour rédiger leur projet de loi était le bon : les étudiants du bac – sans l’aide de M. Mayer, qui assure n’avoir pas touché au contenu du projet de loi – suggéraient une modification à la Loi sur la protection du consommateur plutôt que la création d’une nouvelle loi, et insistaient sur le droit à la réparation.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Guillaume Bourbeau, l’un des anciens étudiants qui ont participé au travail ayant inspiré le gouvernement

Le chemin qu’on a choisi était le bon : la Loi sur la protection du consommateur est déjà un bel outil qui existe. Il s’agit […] de prendre des articles qui protègent le consommateur et d’aller plus loin, et d’emmener la notion de droit à la réparation.

Guillaume Bourbeau, l’un des anciens étudiants qui ont participé au travail ayant inspiré le gouvernement

Jade Racine renchérit. « On avait même rencontré des réparateurs, des gens du domaine des cellulaires. Ils nous expliquaient qu’ils ne sont même pas capables d’ouvrir certains cellulaires. Parfois, juste ouvrir la machine, ça la brise, c’est donc tout simplement impossible à réparer. Ou, parfois, les outils n’existent pas, on ne peut pas les acheter. C’était vraiment une problématique », dit-elle.

Le projet de loi du gouvernement Legault prévoit justement que « quiconque veut réparer un objet puisse le faire avec des outils usuels, accessibles et sans avoir suivi un cours de génie ». Les étudiants avaient d’ailleurs réalisé dans leur recherche que « c’est plus facile de légiférer sur le droit à la réparation que de venir pénaliser l’obsolescence programmée, qui est difficile à prouver », dit Mme Racine.

Une autre vision du droit

Cette aventure a d’ailleurs permis aux avocats Bourbeau et Racine de mieux comprendre « la source sociale » des lois. « Ça m’a donné une nouvelle perspective. Lorsque je regarde un article de loi, je me dis que ça vient d’une idée, d’un besoin qu’on avait dans la société pour venir protéger des gens. C’est à cause de ce projet que j’ai une vision totalement différente pour bien comprendre d’où viennent les lois, et d’en comprendre l’aspect politique », souligne Mme Racine, qui œuvre maintenant en droit des affaires.

Ce commentaire fait sourire M. Mayer, bachelier en droit qui détient une maîtrise en éthique et philosophie.

Mes cours au bac ont l’air d’être les moins pertinents en lien avec le travail que les étudiants vont faire […], mais non, c’est probablement un peu plus important que ce qu’ils avaient pu s’imaginer.

Jonathan Mayer, chargé de cours à la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke

Et M. Mayer n’a pas l’intention de s’arrêter là. Une cohorte d’étudiants travaille actuellement sur l’intelligence artificielle et ses nombreux défis. « Les impacts juridiques sont immenses. Si on est capable de produire des vidéos pour lesquelles on n’est plus capable de distinguer la réalité du faux, comment admettre la preuve vidéo au tribunal ? Et si un professionnel comme un ingénieur civil reçoit de l’aide de l’IA pour faire ses calculs et qu’il y a un problème, qui est responsable ? Lui ou le concepteur de l’AI ? Il y a une panoplie de questions juridiques qui vont se poser », laisse-t-il tomber. On leur souhaite bonne chance.