(Ottawa) Les fameuses « deux solitudes » au Canada trouvent ces jours-ci une nouvelle incarnation : le mouvement de boycottage des publicités sur Meta est bien loin de faire tache d’huile à l’extérieur du Québec.

Le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec, les villes de Montréal, Québec, Longueuil et Laval, ainsi qu’une grande partie des entreprises médiatiques québécoises ont annoncé coup sur coup, mercredi, qu’elles mettaient fin à leurs achats de publicités sur Facebook et Instagram.

La décision de Meta de mettre fin au partage de nouvelles canadiennes, en représailles contre l’adoption de la Loi sur les nouvelles en ligne, est à l’origine de la démarche à laquelle le ministre fédéral du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, a donné le coup d’envoi.

Or, exception faite du Québec, aucune autre province n’a encore manifesté le souhait de s’y joindre.

« L’Ontario n’a pas l’intention de modifier sa politique en matière de publicité et continuera de soutenir les médias canadiens par le biais de campagnes publicitaires gouvernementales », a notamment signifié dans un courriel Caitlin Clark, porte-parole du bureau du premier ministre Doug Ford.

Des autres provinces qui ont répondu aux demandes de La Presse, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse, la Saskatchewan, le Manitoba, ainsi que l’Alberta, ont pris la même décision.

Au Manitoba, on s’est dissocié de la loi fédérale. « Le gouvernement soutient la liberté d’expression et ne soutient pas [la loi] et, pour le moment, ne suivra pas le gouvernement fédéral en ce qui concerne l’activité sur les plateformes Meta », a écrit une porte-parole de la première ministre Heather Stefanson.

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith

Du côté de l’Alberta, la première ministre Danielle Smith estime que ses concitoyens « ont le droit d’accéder aux nouvelles à partir d’une variété de médias », et espère « que l’on trouvera une solution » pour maintenir l’accès aux nouvelles « sur toutes les plateformes ».

Les gouvernements de Terre-Neuve-et-Labrador et du Yukon n’ont quant à eux pas encore tranché.

« C’est une décision qui leur appartient », a réagi dans une déclaration écrite le ministre Pablo Rodriguez, tout en saluant les États et entreprises qui se sont ajoutés à la liste, ce qui envoie selon lui « un message, un symbole, important ».

« Mieux que rien »

La ligne de fracture n’étonne pas Alain Saulnier, ancien directeur de l’information de Radio-Canada.

« Je pense que le facteur linguistique entre en ligne de compte. Historiquement, la langue a été comme un rempart », expose-t-il.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Alain Saulnier, ancien directeur de l’information de Radio-Canada

C’est un peu comme si tout le monde [au Québec] avait décidé de se serrer les coudes et de se dire solidairement : “Non, parce que ça menace notre culture, ça menace notre langue.”

Alain Saulnier, ancien directeur de l’information de Radio-Canada

Il n’est pas impossible que ce désintérêt hors Québec ait raison de la mobilisation, que Meta en ressorte avec peu de stigmates, juge Alain Saulnier. « C’est possible que ça fasse patate, que ça n’aille pas plus loin. Mais c’est mieux que rien », dit-il.

Le mouvement grandit au Québec

Pendant ce temps, sur le sol québécois, le mouvement continue à susciter l’adhésion.

Des sociétés d’État comme la Société des alcools du Québec (SAQ) et Hydro-Québec ont également décidé de geler leurs achats de publicités sur Meta. La somme dont le géant du web sera par conséquent privé n’a pas été précisée.

À Ottawa, ces dépenses sont d’environ 10 millions par année. Une étude du Canadian Media Concentration Research Project évaluait que les revenus publicitaires annuels de Facebook (sans Instagram) au Canada étaient de 2,9 milliards en 2020.

Dur sevrage pour les partis

Si le gouvernement libéral a annoncé qu’il coupait les vivres, il en va autrement pour le Parti libéral. « Nous allons continuer d’annoncer sur les plateformes de Meta », a écrit le porte-parole de la formation, Parker Lund, mercredi.

Dans le camp néo-démocrate, on n’a « pas l’intention de changer quoi que ce soit pour le moment ». On veut « suivre la situation dans l’espoir que la suspension de la publicité par le gouvernement incitera les géants du web à respecter la loi », a indiqué jeudi le directeur des communications de la formation, Éric Demers.

Le Parti conservateur n’a pas répondu à nos demandes.

Le Bloc québécois, pour sa part, a cessé d’acheter de la publicité sur les plateformes de Meta à la fin juin.