(Ottawa) Le Canada contre-attaque l’empire Meta. Le gouvernement fédéral, le gouvernement québécois, de grandes villes ainsi que la majorité des médias québécois suspendent l’achat de publicités sur Facebook et Instagram afin de riposter contre la décision du géant du web de mettre fin au partage de nouvelles canadiennes.

L’histoire jusqu’ici

14 décembre 2022 : La Chambre des communes adopte le projet de loi C-18. Le Sénat fera de même six mois plus tard.

22 juin 2023 : Quelques heures avant que le projet de loi C-18 obtienne la sanction royale, Meta annonce la fin prochaine de la disponibilité des médias sur Facebook et Instagram.

29 juin 2023 : Google (Alphabet) imite Meta et signale qu’elle a l’intention de cesser de relayer les actualités canadiennes dans son moteur de recherche.

C’est le gouvernement fédéral, par la bouche du ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, qui a sonné la charge en annonçant, mercredi midi, un gel des achats de publicités gouvernementales sur les réseaux sociaux.

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« Facebook a décidé d’être déraisonnable, irresponsable et de commencer à bloquer les nouvelles », a-t-il dit en reprochant à sa société mère, Meta (aussi propriétaire d’Instagram) son attitude « très agressive » et son intransigeance.

Le ministre était accompagné du député bloquiste Martin Champoux et du néo-démocrate Peter Julian, virtuellement. Le Parti conservateur, dont le chef Pierre Poilievre a signalé qu’il comptait abroger la loi, n’était pas représenté.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault

Après avoir hésité, le premier ministre du Québec, François Legault, a finalement décidé d’emboîter le pas.

« En solidarité avec les médias, la décision a été prise de cesser toute publicité du gouvernement sur Facebook, le temps que Meta reprenne les discussions sur l’application de la loi C-18. Aucune entreprise n’est au-dessus des lois », a-t-il écrit sur Twitter.

Les villes de Québec, de Montréal et de Longueuil ont aussi embarqué. « Le refus de Meta de partager l’information journalistique est très préoccupant », a signifié sur Twitter la mairesse de Montréal, Valérie Plante.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

La mairesse de Montréal, Valérie Plante

« C’est important de s’ajouter au mouvement. […] On a besoin que les médias aient le financement nécessaire pour survivre et prospérer », a quant à lui plaidé le maire de Québec, Bruno Marchand, en mêlée de presse.

Des médias ferment aussi le robinet

Du côté des médias, ce sont les entreprises Québecor et Cogeco qui ont donné l’impulsion au mouvement de boycottage, annonçant mercredi matin la suspension de leurs investissements publicitaires sur les réseaux sociaux de Meta.

À La Presse, où « les investissements marketing sur les réseaux sociaux étaient mineurs depuis plusieurs mois déjà », on a également décidé de ne plus y acheter de publicité, a expliqué la porte-parole Florence Turpault-Desroches.

En fin de journée, ce fut au tour de CBC/Radio-Canada de geler ses achats publicitaires. « Nous joignons notre voix à celles d’autres médias canadiens pour exiger que l’accès de la population canadienne aux nouvelles […] soit protégé », a indiqué la société d’État par voie de communiqué.

« Le Canada ne sera pas seul », dit Trudeau

PHOTO ARCHIVES REUTERS

« J’ai déjà entendu bien des collègues et amis à travers le monde dire “Tenez fort au Canada, parce que c’est une lutte qui est importante dans toutes nos démocraties”», a indiqué le premier ministre Justin Trudeau.

Le projet de loi C-18 vise à forcer les géants du web à conclure des ententes de rétribution avec les médias dont ils publient le contenu.

Le premier ministre Justin Trudeau a mis en lumière le rôle de pionnier que joue le Canada. « J’ai entendu bien des collègues et amis à travers le monde dire “Tenez fort au Canada, parce que c’est une lutte qui est importante dans toutes nos démocraties”», a-t-il soutenu lors d’un passage à Saint-Hyacinthe.

Le Parti libéral, qui a beaucoup misé ces dernières années sur Facebook, ne fera pas comme le gouvernement libéral. « Nous allons continuer d’annoncer sur les plateformes de Meta », a écrit le porte-parole Parker Lund dans un courriel.

Meta bronche à peine

La société Meta n’a pas semblé se formaliser de cette cascade de sanctions.

« Comme nous l’avons à maintes reprises répété, la Loi sur les nouvelles en ligne est une loi imparfaite qui fait fi du fonctionnement de nos plateformes, des préférences de leurs utilisateurs et de la valeur que nous accordons aux éditeurs de presse », a écrit sa porte-parole, Lisa Laventure.

D’où la question à 10 millions (la somme qu’Ottawa dépense annuellement chez Meta pour ses publicités) : y a-t-il des chances que la fronde fasse reculer le géant ? « Ça va dépendre de l’ampleur que ça prend », a argué en entrevue Colette Brin, directrice du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval.

« En ce qui concerne l’effet financier de ce geste, pris individuellement, c’est sûr que ce n’est pas grand-chose », a-t-elle enchaîné. Une étude du Canadian Media Concentration Research Project évaluait que les revenus publicitaires annuels de Facebook (sans Instagram) au Canada étaient de 2,9 milliards en 2020.

Google s’en sauve

Contrairement à Meta, Google (Alphabet) est, pour le moment, épargné.

C’est que le ministre Rodriguez est convaincu qu’une solution est à portée de main, que les différends peuvent être aplanis au fil du processus réglementaire, et que contrairement à Meta, Google a une approche responsable et des « demandes précises ».

Le président des affaires internationales de Google, Kent Walker, disait pourtant jeudi dernier qu’Ottawa n’avait pas « donné de raisons de croire » que le processus porterait ses fruits. À cette vision, Pablo Rodriguez a opposé la sienne, plus optimiste. « Ça peut être fait et ça sera fait », a-t-il tranché mercredi.

Avec la collaboration de Gabriel Béland, La Presse