Meta met ses menaces à exécution. Le géant des médias sociaux, propriétaire des plateformes Facebook et Instagram, dit avoir « commencé à mettre fin à l’accès aux nouvelles au Canada ». L’entreprise dit bloquer les informations au pays pour se « conformer » à la Loi sur les nouvelles en ligne d’Ottawa.

CE QU’IL FAUT SAVOIR

  • En juin, la Chambre des communes a adopté le projet de loi C-18, officiellement baptisé Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada. Elle doit forcer les grandes plateformes du web à négocier des ententes avec les médias canadiens pour compenser la diffusion de leurs nouvelles.
  • Meta (Facebook, Instagram) et Alphabet (Google, YouTube) ont protesté et menacé à répétition de retirer les liens vers les articles de nouvelles si la loi est adoptée.
  • Tous les partis de l’opposition se sont ralliés au gouvernement à ce sujet, sauf les conservateurs.

Selon des tests qu’a effectués La Presse, aucun changement n’est toutefois survenu dans l’immédiat sur Facebook en ce qui concerne ce quotidien. L’algorithme de la plateforme a permis la publication de cet article le jour de l’annonce de Meta, mardi 1er août.

« Ces changements entrent en vigueur aujourd’hui et seront mis en œuvre pour tous les utilisateurs accédant à Facebook et Instagram au Canada au cours des prochaines semaines », indique néanmoins l’entreprise sur un blogue.

Vous ne voyez plus nos contenus sur vos médias sociaux? Voici comment vous assurer de ne rien manquer.

Le projet de loi C-18 voté par la Chambre des communes n’a pourtant toujours pas force de loi. Sanctionné en juin dernier, il ne doit s’appliquer qu’à partir de décembre.

Le nouveau texte doit obliger les géants du web à négocier avec les médias d’information une compensation pour les contenus qui circulent sur leurs plateformes.

En réaction, Meta et Google menacent depuis des mois de retirer les accès aux nouvelles canadiennes. Les deux géants californiens avaient d’ailleurs déjà procédé à des « tests » en retirant à une partie de leurs clients les accès aux médias du pays dans les derniers mois.

Le géant des recherches en ligne Alphabet, qui exploite le moteur de recherche Google, a coupé l’accès aux nouvelles canadiennes à 4 % de ses utilisateurs au pays en février.

L’entreprise dit elle aussi se préparer à retirer les liens vers les nouvelles au Canada, mais n’aurait pas l’intention de le faire avant l’entrée en vigueur de C-18. Alphabet serait toujours en négociation avec Ottawa.

La nouvelle ministre proteste

La nouvelle ministre du Patrimoine canadien Pascale St-Onge, tout juste arrivée en poste lors du remaniement la semaine dernière, juge « irresponsable » l’attitude de Meta et de sa populaire plateforme.

« Facebook sait qu’il n’a aucune obligation en vertu de la loi à l’heure actuelle, écrit-elle dans un courriel à La Presse. L’entreprise n’a pas encore participé au processus réglementaire. Les géants du web préfèrent bloquer l’accès aux nouvelles pour leurs utilisateurs au lieu de payer leur juste part pour le travail des médias. »

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Pascale St-Onge, ministre du Patrimoine canadien

Elle mentionne que Google et Facebook « reçoivent 80 % de tous les revenus publicitaires numériques au Canada ». « Pendant ce temps, des centaines de salles de nouvelles ont fermé leurs portes. Une presse libre et indépendante est fondamentale pour notre démocratie, et les Canadiens s’attendent des géants du web qu’ils respectent la loi dans notre pays. »

Elle réitère qu’Ottawa n’a pas l’intention de plier. « Facebook essaie d’envoyer un message, non seulement au Canada, mais aussi à d’autres pays comme la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États-Unis. »

Pascale St-Onge est une ancienne employée de la publicité à La Presse. Avant de se lancer en politique en 2021, elle a aussi dirigé la Fédération nationale des communications de la CSN, un regroupement de syndicats qui représentent de nombreux journalistes québécois, dont ceux de La Presse.

Déclaration écrite

Dans une déclaration écrite, la porte-parole de Meta Canada, Rachel Curran affirme qu’Ottawa est au fait des préoccupations du géant numérique et qu’il est impossible de se conformer à C-18.

« Cette loi repose sur l’idée erronée selon laquelle Meta bénéficie injustement des contenus d’actualité partagés sur nos plateformes, alors que c’est tout le contraire. »

Selon elle, les médias « publient volontairement » leur contenu sur Facebook, mais ce ne sont pas les nouvelles qui attirent les Canadiens sur la plateforme.

Rachel Curran, qui a été une proche conseillère de l’ancien premier ministre Stephen Harper, dit espérer qu’Ottawa saura reconnaître « la valeur » que Meta offre au secteur de l’information et adoptera des politiques qui respectent « les principes d’un internet libre et ouvert ».

Réactions politiques

La décision de Meta a provoqué de vives réactions politiques. Le Bloc québécois a vertement dénoncé « une manœuvre d’intimidation ».

« Cette décision déplorable ne sert personne. En fait, les grands perdants sont les utilisateurs qui se verront privés de leurs nouvelles sur les réseaux sociaux. Le Bloc québécois va toujours se tenir debout pour nos médias », a affirmé le député bloquiste Martin Champoux.

Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a blâmé le gouvernement Trudeau pour « la censure » décrétée par Meta.

« Ce n’est pas dans les démocraties qu’on voit la disparition des nouvelles », a-t-il dit durant une conférence de presse devant le parlement, estimant que ce genre de situation survient normalement dans des dictatures telles que la Corée du Nord.

Il a soutenu que les récentes mesures législatives proposées par le gouvernement Trudeau sur les nouvelles en ligne et la modernisation de la Loi sur la radiodiffusion sont aussi une forme de censure.

Avec la collaboration de Joël-Denis Bellavance à Ottawa