(Québec) Dénonçant une décision « abusive » et « attentatoire aux libertés fondamentales d’expression et de religion », l’organisation derrière le rassemblement antiavortement annulé par la ministre Caroline Proulx met en demeure le gouvernement Legault. Ce rebondissement survient alors que Québec ouvre la porte à bannir « au cas par cas » des évènements qui ne correspondraient pas à ses principes fondamentaux.

L’organisation chrétienne Harvest Ministries International a fait parvenir une mise en demeure à la ministre du Tourisme et au président-directeur général du Centre des congrès de Québec les sommant de rétablir le contrat de location pour la tenue du « Rallye Feu, Foi et Liberté » qui devait se tenir à Québec en juin, « sans quoi des procédures judiciaires pourraient être prises ».

Vendredi, la ministre Caroline Proulx a annulé la semaine dernière ce rassemblement antiavortement parce qu’il ne correspond pas aux « principes fondamentaux du Québec ». Or, le gouvernement refuse toujours d’en faire la liste. La décision a été saluée par tous les partis de l’opposition.

« Vous avez accolé l’étiquette “ anti-avortement ” à un évènement qui n’avait rien de tel. Aucune prise de parole, représentation, projection ou thématique soi-disant “ antiavortement ” n’était au programme », écrit l’avocat de l’organisation, Samuel Bachand, dans la mise en demeure.

« Et même si c’était le cas, l’intervention du gouvernement serait abusive, discriminatoire, attentatoire aux libertés fondamentales d’expression et de religion, sans l’ombre d’une justification raisonnable », plaide MBachant dans le document consulté par La Presse. On demande au Centre des congrès de rétablir dans les 48 heures le contrat de location résilié.

Harvest Ministries International estime avoir subi des préjudices matériels évalués à 450 000 dollars alors que l’organisation doit « maintenant, en pleine haute saison, trouver un lieu de remplacement pour le Rallye, à proximité d’hôtels et de restaurants où des réservations et des dépôts ont déjà été faits ».

Le cabinet de la ministre Proulx a confirmé la réception de la mise en demeure, mais ne fera pas de commentaire. Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a brièvement indiqué mercredi qu’il allait « prendre connaissance de la procédure ».

« Au cas par cas », dit Biron

L’annulation de ce rassemblement antiavortement s’était d’ailleurs réinvitée au Parlement un peu plus tôt mercredi. La ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, a ouvert la porte à interdire le rassemblement d’autres groupes qui ne correspondraient pas aux principes fondamentaux du Québec, dans des lieux appartenant à l’État, en procédant « au cas par cas ».

Par rapport à l’évènement de l’organisation chrétienne, « c’est une décision qui a été prise à la lumière des valeurs de notre gouvernement », a-t-elle ajouté. Selon elle, il ne s’agit pas d’un choix arbitraire.

Dans le cas de ce groupe anti-choix, compte tenu de notre posture, on a décidé que [dans] les endroits publics, qui étaient dirigés par des sociétés d’État, ce n’était pas approprié. Ça n’empêche pas les groupes d’être sur le territoire et de tenir leur évènement s’ils y tiennent.

Martine Biron, ministre de la Condition féminine

La ministre du Tourisme, Caroline Proulx, ne s’est pas arrêtée mercredi pour répondre aux questions des journalistes sur cet enjeu. « J’ai répondu à toutes les questions là-dessus, merci », a-t-elle lancé brièvement.

Le PQ se ravise

Le Parti québécois, qui avait pourtant salué la décision de Mme Proulx, s’est ravisé mercredi. « Mon parti appuie sans réserve le droit à avortement, c’est une chose. Mais doit-il permettre que le gouvernement se donne désormais le pouvoir, sur une base arbitraire, de déterminer qui peut se rassembler et s’exprimer dans notre société ? », a écrit le chef Paul St-Pierre Plamondon.

Il semble y avoir présentement une confusion entre la position de chaque parti sur l’avortement d’une part, et la position des partis sur la liberté d’expression et de réunion d’autre part.

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Il demande au gouvernement de préciser où il trace la ligne pour interdire ou non la tenue d’un évènement dans un lieu public. « Et dans l’hypothèse où il n’est pas capable de le faire, je l’invite à corriger le tir », a ajouté le chef péquiste.

Vendredi dernier, le député péquiste Pascal Bérubé affirmait qu’il aurait pris la même décision de la ministre du Tourisme, un ministère qu’il a déjà dirigé. « Ça envoie un message fort. L’État, à travers le Centre des congrès, n’a pas à accueillir un tel groupe qui fait la promotion de valeurs qui vont à l’encontre de celles de l’État », faisait-il valoir.

Il n’y voyait pas un enjeu pour la liberté d’expression : « S’il y a des privés qui veulent accueillir ce groupe, libre à eux, mais ce n’est pas à l’État de le faire. Donc, que ce soit au Palais des congrès, que ce soit au Stade olympique ou au Centre des congrès, il n’y a pas de place pour ce genre de groupes », ajoutait M. Bérubé.

Croisé après la période de questions mercredi, le député de Matane-Matapédia a préféré ne pas commenter.

Le PLQ va plus loin

Le chef intérimaire du Parti libéral du Québec, Marc Tanguay, a de son côté cité les valeurs fondamentales du Québec qui pourraient justifier le bannissement de rassemblements.

« Tout ce qui est véhiculé au sein de nos chartes des droits et libertés sont des valeurs fondamentales. Le respect de l’égalité homme-femme, la laïcité de l’État, la liberté de religion également, la liberté d’expression, c’est des valeurs fondamentales », a énuméré M. Tanguay.

Comme la ministre Biron, M. Tanguay a expliqué que les décisions devaient être prises « au cas par cas ». Il appuie toujours l’intervention de la ministre Proulx. « L’accès à l’avortement, le libre choix est une valeur fondamentale. Il ne relève pas du gouvernement de leur offrir une tribune et, dans ce cas-là, la ministre était très bien avisée », a-t-il précisé.