(Ottawa) Si le gouvernement Legault cherche à interdire les salles de prière dans les écoles au Québec, le gouvernement Trudeau emprunte un chemin inverse.

Ce qu’il faut savoir

  • Le gouvernement fédéral a aménagé une cinquantaine de salles de prière depuis 2015 dans les immeubles où travaillent les fonctionnaires.
  • Des salles de prière seront aussi aménagées dans les nouvelles installations militaires jouxtant les hangars qui abriteront les nouveaux avions de combat F-35 à Bagotville, au Québec, et à Cold Lake, en Alberta.
  • Le Québec, lui, veut interdire les salles de prière dans les écoles publiques.

Depuis 2015, Ottawa a aménagé une cinquantaine de salles multiconfessionnelles dans 46 immeubles fédéraux du pays, a appris La Presse. Six de ces salles ont été aménagées au Québec, plus précisément dans les édifices fédéraux situés à Gatineau, dans la région de la capitale fédérale, a-t-on indiqué au ministère Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC).

Le ministère de la Défense compte aussi aménager des salles de prière dans les nouvelles installations qui seront construites près des hangars qui doivent servir à abriter les nouveaux avions de chasse F-35 à Bagotville et à Cold Lake, selon nos informations.

PHOTO ANDREW VAUGHAN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La base militaire de Bagotville, dont les nouvelles installations incluront une salle de prière

« En tant que fournisseur de services auprès des autres ministères, Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) sait que, depuis 2015, plus ou moins 52 salles multiconfessionnelles ont été aménagées dans 46 immeubles fédéraux du pays », a indiqué Alexandre Baillairgé-Charbonneau, porte-parole du ministère, dans un courriel à La Presse.

Il a précisé qu’il appartient aux différents ministères de financer l’aménagement de ces salles.

Le mois dernier, le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville, a annoncé qu’une directive a été adoptée par le Conseil des ministres selon laquelle aucun lieu d’une école publique ne doit être utilisé pour prier. Le but de cette directive, selon lui, est de préserver le caractère laïc des écoles. Mais cette mesure est contestée devant les tribunaux par une coalition d’associations musulmanes, qui soutient qu’elle contrevient à d’autres lois du gouvernement, en plus de violer la Charte canadienne des droits et libertés.

« Les lobbys ont bien travaillé »

Interrogé au sujet des démarches fédérales depuis 2015, jeudi, le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a fait valoir qu’Ottawa et Québec sont plus que jamais aux antipodes sur la question de la laïcité de l’État.

PHOTO SPENCER COLBY, LA PRESSE CANADIENNE

Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet

« Non content de contester, avec nos propres impôts, la valeur de laïcité de l’espace d’État héritée de la Révolution tranquille au Québec, Ottawa ménage un espace religieux dans ses installations. Les lobbys ont bien travaillé. C’est comme si Justin Trudeau disait : “Tu as un petit 15 minutes ? Va donc prier un peu… !” Incroyable ! », a affirmé le chef bloquiste.

Au Conseil du Trésor, on a souligné que l’obligation de respecter les pratiques religieuses des employés de la fonction publique a été ajoutée dans les conventions collectives au cours des dernières années.

Le gouvernement fédéral doit donc s’assurer que des salles de prière soient aménagées dans les édifices qu’il possède ou qu’il loue afin de permettre aux fonctionnaires de faire une pause-prière s’ils le désirent.

« De nombreuses conventions collectives contiennent des clauses relatives aux pratiques religieuses et des dispositions de protection contre la discrimination fondée sur l’appartenance religieuse. Les pauses-prière, les mesures d’adaptation concernant le port de vêtements religieux ou l’utilisation des droits de congé pour remplir des obligations religieuses sont tous des exemples de mesures d’adaptation qui tiennent compte des obligations religieuses », a expliqué Martin Potvin, responsable des relations avec les médias au Secrétariat du Conseil du Trésor.

Une culture d’« inclusion »

Résultat : chaque ministère doit prendre les mesures nécessaires pour accommoder les employés qui veulent prendre du temps pour pratiquer leur religion, à moins que les mesures d’adaptation « n’imposent une contrainte excessive ».

Le gouvernement du Canada s’est engagé à créer une fonction publique représentative, diversifiée et exempte d’obstacles, et à favoriser une culture qui valorise l’inclusion, qui suscite un profond sentiment d’appartenance et qui considère la différence comme une source de force.

Martin Potvin, porte-parole du Secrétariat du Conseil du Trésor

Il a souligné que la Loi canadienne sur les droits de la personne oblige le gouvernement fédéral, en tant qu’employeur, à « repérer et éliminer » les obstacles qui ont une incidence négative sur les employés. Cette loi interdit toute pratique discriminatoire en matière d’emploi et de prestation de services fondée sur 13 motifs, dont la religion.

Au ministère de la Défense, on a précisé que les nouvelles installations destinées aux futurs chasseurs incluent des quartiers généraux et des équipements de pointe en matière de sécurité, d’information, d’entretien et de formation. Les salles de prière seront situées dans les quartiers généraux.

Une porte-parole du ministère de la Défense, Andrée-Anne Poulin, a aussi rappelé que la pratique d’une religion de son choix est un droit protégé en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

« Les FAC [Forces armées canadiennes] visent à avoir une main-d’œuvre inclusive, représentative de la composition culturelle, ethnique, religieuse et linguistique du Canada, ainsi que de sa diversité régionale, et adhèrent aux principes d’égalité pour tous et de la dignité humaine et de la valeur de tous les êtres humains », a-t-elle indiqué dans un courriel.

« Dans ce contexte, les installations des FAC partout au pays sont dotées de salles multiconfessionnelles (ou salles de prières) qui sont mises à la disposition des membres qui souhaitent se recueillir ou prier dans un lieu calme et isolé. »

Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse