(Québec) La politologue et ex-députée caquiste Émilie Foster s’inquiète de l’avenir du simple député, qui perd « de plus en plus de pouvoirs » dans notre démocratie, car il est « écrasé par le contrôle des communications » de partis politiques toujours plus centralisateurs.

Mme Foster, qui a siégé à l’Assemblée nationale sous la bannière de la Coalition avenir Québec (CAQ) de 2018 à 2022, estime que ce constat est valide pour une grande part des partis politiques au Québec, dans les autres législatures provinciales et à Ottawa.

« Les partis politiques sont devenus des machines à centraliser le pouvoir et à contrôler le message. […] Le simple député, écrasé par le contrôle des communications et la ligne de parti, perd de plus en plus de pouvoirs dans notre démocratie », laisse tomber Mme Foster.

Mme Foster, qui est maintenant professeure associée à l’Université Carleton, fait ce constat dans un article publié dans la revue numérique Options politiques. « Ça devrait nous inquiéter », affirme celle qui a également été vice-présidente de la CAQ.

Jointe par La Presse, Mme Foster souligne que cet article est appuyé sur une « réflexion personnelle », mais également sur une revue de la littérature qui montre que c’est une réalité pour tous les élus canadiens.

Troisième lien

Exemple récent : les députés d’arrière-ban de la CAQ ont appris après tout le monde que le gouvernement Legault faisait marche arrière sur une promesse phare du parti : la construction d’un tunnel autoroutier entre Québec et Lévis.

« Imaginez la déception dans les troupes. C’est un exemple récent assez révélateur, dit-elle. Ça aurait dû être géré différemment. »

Les députés étaient en droit d’être mis au courant bien avant [du recul sur le troisième lien autoroutier]. C’est malheureusement un exemple de ce qui se vit dans les gouvernements, où les députés d’arrière-ban sont les derniers informés, car c’est pire au pouvoir.

Émilie Foster, politologue et ex-députée caquiste

La motivation derrière tout ça : les partis politiques sont « imprégnés par une logique de marketing » et « se vendent comme un produit ». Ils sont en « campagne électorale permanente », résume celle qui a un doctorat en communication publique de l’Université Laval.

L’équipe autour des chefs de parti veut contrôler le message au maximum, et éviter les bévues. Mme Foster estime plutôt que les machines politiques devraient « faire confiance aux députés » et arrêter « d’avoir peur des fuites ».

La situation est particulièrement pénible pour les « députés d’arrière-ban », les « députés du parti au pouvoir qui ne sont ni ministres ni officiers ». « Dans tous les gouvernements, le contrôle du message est exercé partout, même en circonscription, où les messages doivent être [validés] par le national », déplore-t-elle.

Elle-même, comme députée de Charlevoix–Côte-de-Beaupré, a fait les frais de cette façon de faire. À l’époque, la CAQ avait promis la construction d’un casino à Québec, ce qui signifiait assurément « la mort » du casino de Charlevoix. « Je n’avais pas le choix quand des médias nationaux m’interrogeaient de suivre la ligne. J’étais prise en position sandwich », dit-elle.

Les élus se retrouvent donc à être « porte-parole d’une ligne de parti ». À ce genre de critique, les chefs répondent souvent que les débats se font à l’interne, en caucus. Mais ils peuvent « décider d’en orienter le contenu en réduisant les échanges à quelques thèmes prédéfinis et en transmettant les grandes lignes des messages clés de la semaine », explique-t-elle.

Le rôle des médias

Si les partis politiques sont les principaux responsables de cette situation, les médias ont aussi leur rôle à jouer « dans cette culture d’unanimité ».

Alors que la dissension des députés est tolérée et même célébrée dans d’autres démocraties, un seul soupçon de rébellion de la part des députés d’arrière-ban est couvert négativement dans les médias canadiens.

Émilie Foster, politologue et ex-députée caquiste, dans son article

La politologue estime que « les médias devraient cesser de considérer le point de vue divergent d’un député comme une trahison ». Les solutions ne sont pas simples, mais elle estime que les partis politiques ont le « devoir moral » d’y réfléchir.

« Les partis doivent se rappeler qu’ils font de la politique, pas du marketing. Les débats sont sains, nécessaires, et doivent être encouragés, même si cela signifie de perdre quelques votes à la prochaine élection. »

Les solutions passent probablement par une réforme parlementaire qui donnerait davantage de place aux simples députés, croit-elle. À l’intérieur des partis politiques, le déclin du militantisme pose problème : les chefs choisissent de plus en plus souvent les candidats députés, ce qui réduit leur autonomie. « Et même lorsqu’il y a des investitures, les chefs ont le bras long », souligne-t-elle. Les partis devront donc réformer leur façon de faire pour laisser plus de place à la libre parole chez les élus.